CONSTRUIRE UN DÉSASTRE

UNE MAUVAISE PLANIFICATION

Le raid de Dieppe est extrêmement mal planifié par le COHQ. Militairement, l’organisation a très mal évalué les défenses allemandes. Plusieurs problèmes de communication surviennent aussi durant le raid, limitant les manœuvres pour les hommes sur le terrain. Les commandants, qui rencontrent des imprévus importants durant l’attaque, ont beaucoup de difficulté à s’adapter. Le débarquement est, par exemple, très difficile avec plusieurs bateaux qui arrivent en retard, puisqu’ils sont repérés par l’ennemi ou accostent à la mauvaise position.

Lors de la planification du raid, les Alliés reçurent beaucoup de données erronées concernant les défenses allemandes. Les photos aériennes sont de mauvaise qualité et donnent très peu d’informations claires. Cela cause ainsi des erreurs fatales lors du débarquement. Par exemple, au moment de l’opération, le soleil fait face aux soldats et les aveugle complètement. De plus, plutôt que d’être faite de sable, la plage de Dieppe est constituée de petits galets. Ce détail entraîne des conséquences terribles : les chenilles des chars d’assaut sont bloquées, les empêchant de bouger. Aussi, chaque explosion provoque des éclats pouvant sérieusement blesser les soldats.

Les avions et les navires peinent également à soutenir les hommes sur la plage. Après une première tournée contre les défenses allemandes, les forces aériennes sont rapidement occupées à combattre la Luftwaffe. Quant aux navires, outre lancer des écrans de fumée, leur champ d’actions était restreint – le COHQ ayant décidé durant la planification que des bombardements ne pourraient être menés de sorte à ne pas risquer d’endommager la ville.

Au-dessus : Pour amasser de l’information en prévision du raid, le COHQ utilise de vieilles cartes postales montrant la plage de Dieppe. Naturellement, ces cartes fournirent très peu d’informations et servirent peu à la planification (source : collection personnelle).

« Loin d’avoir constitué un sacrifice nécessaire à la victoire alliée, le fiasco de Dieppe s’apparente davantage à une vulgaire bavure. », Béatrice Richard, historienne.

Un char Churchill appartenant au Calgary Regiment abandonné sur la plage. Sur son flanc, on peut lire que le char reçoit le surnom de «Buttercup» par le personnel de son régiment (source : Bibliothèque et Archives Canada).

ÉVALUER LES RESPONSABLES

Le raid crée énormément de controverses. Plusieurs pointent du doigt le Chef des opérations combinées, Lord Louis Mountbatten comme responsable du désastre. Issu de la famille royale et nommé à son poste grâce à ses connexions, Mountbatten a très peu d’expérience militaire. En dépit de l’avis de plusieurs experts militaires, la majorité de la planification lui est tout de même laissée. En juillet 1942, l’opération est annulée à la dernière minute lorsque les navires transportant les troupes sont repérés et mettent les Allemands sur le qui-vive. Cependant, cet échec ne convainc pas Mountbatten d’abandonner son plan pour de bon.

La forte personnalité de Mountbatten est souvent mise en cause. Plusieurs soulignent ainsi qu’il est un homme soucieux de son image qui se préoccupe plus de l’effet du raid sur sa propre réputation que sur ses résultats militaires. Mountbatten est, par exemple, persuadé que le raid serait un succès et invite plusieurs journalistes lors de son déroulement. Lorsque l’opération se termine en massacre complet, il souligne très rapidement que Jubilee serait en réalité très bénéfique pour des opérations futures. De fait, lorsque le débarquement de Normandie a lieu en 1944, Mountbatten est l’un des premiers à prétendre que son succès est en grande partie dû aux leçons tirées à Dieppe.

Au Canada, la responsabilité des généraux Harry Crerar et Andrew McNaughton est aussi examinée. Après tout, le premier a longtemps poussé au sein du gouvernement pour que le Canada envoie plus de troupes au front. Sa réputation est grandement mise en jeu avec le désastre à Hong Kong en 1941 et avec le massacre à Dieppe. Quant à McNaughton, c’est lui qui a approuvé l’utilisation de soldats canadiens à Dieppe, sans avoir pris le temps d’évaluer les risques.

Le commandant Dollard Ménard dirige la force des Fusiliers Mont-Royal sur la plage blanche et la plage rouge. Il est blessé cinq fois durant le raid et réussit à être ramené sur les navires par ses hommes (source : Bibliothèque et Archives Canada).
« En dehors des aspects militaires indiqués dans le plan d’ensemble, cette opération sera d’une grande valeur comme opération d’entraînement pour […] toute autre opération majeure en ce qui concerne l’assaut proprement dit. », Lord Louis Mountbatten, Chef des opérations combinées, 11 mai 1942.
« J’ai alors décidé que ceux qui avaient planifié ce désastre devaient être des idiots. », Jack A. Poolton, Capturé à Dieppe, Royal Regiment of Canada.
Ces hommes ont survécu au raid et ont eu la chance de regagner les bateaux. Cette photo a été prise en Grande-Bretagne à leur retour (source : Bibliothèque et Archives Canada).

LA VISION ALLEMANDE

Pour l’armée allemande, la défense de la plage de Dieppe est une grande victoire. Après l’annulation de l’opération, les défenses allemandes sont en alerte pour une prochaine attaque. Leurs précautions leur donnent raison. À la conclusion de Jubilee, l’armée allemande évalue le plan comme un gâchis total : mal planifié, confus et complètement insensé. Les généraux allemands admettent toutefois que les Alliés vont apprendre de leurs erreurs et qu’ils reviendront mieux préparés.

La Wehrmacht est impressionnée par la taille immense de l’armée envoyée à Dieppe et sa défaite totale enorgueillit jusqu’à Adolf Hitler lui-même. Le raid de Dieppe est ainsi grandement utilisé dans la propagande allemande au courant de la guerre. Dans les médias allemands, le raid est présenté comme une grande invasion britannique sur le continent. Pour une armée principalement tiraillée sur le front de l’est, une telle nouvelle s’avère un bon coup pour le moral des troupes.

« Où était cet ennemi faible et démoralisé, aux armes médiocres, dont on nous avait dit qu’il défendait la ville ?… Dieppe était une forteresse, et les Allemands étaient manifestement prêts. », Denis Whitaker, Royal Hamilton Light Infantry.

Les Allemands sont très bien ancrés dans leurs positions et ce sont leurs mitrailleuses qui ont fait le plus de victimes parmi les soldats alliés (source : Bundesarchiv).
Un groupe de soldats allemands rassemblés autour d’un char d’assaut démoli et des pertes alliées (source : Bibliothèque et Archives Canada).
LE MONDE
EN GUERRE
OUVRIR UN SECOND FRONT
LE MASSACRE SUR LA PLAGE
CONSTRUIRE UN DÉSASTRE
LES VICTIMES DE JUBILEE
ENTRE MYTHE ET VÉRITÉ