ENTRE MYTHE ET VÉRITÉ

APRÈS LE RAID

Beaucoup de journalistes sont présents lors du raid, sous l’invitation de Mountbatten. S’ils sont censés rapporter les succès de cette opération, ils sont plutôt témoins de l’un des plus grands désastres militaires du conflit. L’expression dit que la vérité est la première victime de la guerre et le raid n’y fait pas exception tandis que plusieurs médias présentent l’opération comme un grand succès dans les premiers jours. Cependant, la liste des pertes rapportées aux familles des victimes n’a que dévoilé l’évidence : Dieppe est en réalité le lieu d’un important massacre qui aurait pu être évité.

Ajoutant au désastre, de nombreux soldats blessés sont abandonnés sur la plage et capturés par les Allemands. Pour les Alliés, il est difficile de compter ces hommes et plusieurs sont déclarés disparus ou décédés à leur famille au Canada (source : Bundesarchiv).

Il est difficile d’admettre aux familles des victimes que le raid est un échec complet. La mauvaise planification du COHQ et la responsabilité des généraux canadiens peuvent être pointées du doigt, il n’en demeure pas moins que Jubilee est principalement motivée par la politique plutôt que par un réel besoin militaire. Churchill veut faire bonne impression aux Alliés. Mountbatten veut monter sa carrière. Les généraux canadiens veulent augmenter le prestige de l’armée canadienne. Quant à eux, les soldats envoyés à Dieppe veulent combattre la tyrannie.

La couverture du Hamilton Spectator jours avant que les journaux révèlent l’ampleur du désastre à Dieppe et que le nombre de morts soit annoncé (source : The Hamilton Spectator, 21 août 1942).

À gauche : La plage de Dieppe après sa capture par les Alliés en 1944 (source : Bibliothèque Archives Canada).

JUBILEE ET LE QUÉBEC

Le raid a un héritage très particulier au Québec. Au lendemain de l’opération, le commandant Dollard Ménard et l’aumônier Joseph-Armand Sabourin des FMR font appel aux médias pour souligner la bravoure des Canadiens français à Dieppe. Cependant, après la guerre, la société québécoise évolue vers une vision très antimilitariste et les médias, que ce soit la littérature ou les manuels scolaires, parlent de moins en moins du raid.

Durant les années 1960 et 1970, les mouvements gauchistes et souverainistes utilisent le raid comme une preuve de la manipulation des Québécois par la Grande-Bretagne et le reste du Canada. Les soldats des FMR décédés durant le raid sont ainsi perçus à la fois comme des victimes opprimées et les grands perdants de la guerre. De fait, dans les années suivantes, la mémoire de la guerre s’est figée et on ne retient que la crise de la conscription comme événement marquant de l’histoire militaire du Québec.

À droite : Lors de la crise d’Octobre, en 1970, le Front de libération du Québec envoie un communiqué annonçant le décès du ministre Pierre Laporte, qui est revendiqué par la fictive cellule Dieppe. Le choix du nom de cette fausse cellule est motivé par le désir de venger les soldats canadiensfrançais décédés à Dieppe.

Source : Image Archives La Presse.

Cette affiche de propagande imprimée durant la guerre met à l’avant-plan le lieutenant-colonel Dollard Ménard et ses blessures subies durant le raid. Ce type de publicité est utilisé pour mobiliser les Canadiens français durant la guerre (source : Bibliothèque et Archives Canada).

PASSER À L’HISTOIRE

Plusieurs mythes sont créés autour du raid de Dieppe. Au Québec, par exemple, plusieurs se sont imaginé que les soldats francophones ont intentionnellement servi de chair à canon pour tester les défenses allemandes. Beaucoup de personnes au Québec associent le raid au massacre de soldats francophones et ignorent que plusieurs soldats canadiensanglais et britanniques sont aussi décédés sur la plage.

Des membres du Royal Hamilton Light Infantry visitent les tombes des soldats canadiens décédés à Dieppe. Photo prise le 1er septembre 1944 au cimetière de Dieppe (source : Bibliothèque Archives Canada).

En ce sens, c’est le travail des historiens d’analyser les sources et de décortiquer les événements, même si cela peut être très compliqué et causer de nombreux débats. Le raid de Dieppe a ainsi fait couler beaucoup d’encre. La question de la responsabilité de l’opération est sujette à de vives discussions de la part des historiens qui partagent le blâme entre Mountbatten, les généraux canadiens et Churchill.

Il y a aussi plusieurs débats sur les leçons du raid ainsi que son influence sur le débarquement de Normandie en 1944. Mountbatten a été le premier à insister que Dieppe a été primordial pour le succès du débarquement. Ses nombreuses déclarations publiques ont longtemps influencé l’imaginaire collectif du raid et ont nécessité un long travail de la part des historiens pour le démentir. C’est ainsi que, après plusieurs recherches, menées depuis la fin de la guerre jusqu’à aujourd’hui, les spécialistes concluent qu’il n’y avait aucun lien entre les deux opérations : Normandie aurait eu lieu, peu importe la manière dont Dieppe se serait conclu.

Source : Bibliothèque Archives Canada.
Source : Projet Mémoire.

À gauche : Le Major Marie-Edmond Paul Garneau, du 22e régiment, est muté à un navire de débarquement lors du raid de Dieppe. Au cours de l’opération, il réussit à éloigner le navire grandement endommagé par les tirs ennemis et à rejoindre le reste de la flotte en sécurité. Pour son action, il reçoit l’Ordre du service distingué en récompense.

À droite : Cette médaille est remise à Arthur Fraser par le gouvernement pour son service à Dieppe.

RETOURNER À DIEPPE

Le 1er septembre 1944, après le débarquement réussit à Normandie, les Alliés lancent l’Opération Fusilade pour libérer la ville de Dieppe. L’armée allemande ayant évacué la ville avant l’arrivée des 14th Canadian Hussars de Saskatchewan, Dieppe est finalement capturé sans aucune opposition. Quelques jours plus tard, les soldats canadiens organisent une cérémonie commémorative au cimetière de Dieppe en honneur de leurs camarades décédés deux ans plus tôt. Enterrées en France, ces hommes ne pourront jamais retourner chez eux, mais leurs mémoires persisteront.

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