Un monde en ébullition

De la révolution tranquille à la révolution armée

La Révolution tranquille

Après de nombreuses années sous le dur régime conservateur de Duplessis, la société québécoise est en plein essor dans les années 1960. Jean Lesage met en place l’État-providence, en créant un filet social important et qui représente aujourd’hui encore la société québécoise. Le mouvement Maîtres chez nous apportera la nationalisation d’Hydro-Québec en 1963 et la création du réseau des Universités du Québec en 1968, retirant à l’Église catholique ses pouvoirs sur les systèmes d’éducation et de santé. La création d’un système de métro à Montréal, la tenue de l’Exposition universelle en 1967 et l’inauguration du barrage Manic 5 démontrent que le Québec est capable de mener à bien des projets d’envergure et a sa place sur l’échiquier mondial.

Conditions ouvrières

Après des années d’un gouvernement anti-syndicat, certains voient une occasion en or de faire valoir les droits des travailleurs. Les principaux syndicats épaulent leurs membres dans de nombreuses manifestations, comme ce sera le cas pour les chauffeurs de taxi avec le Front de libération du taxi. Un conflit important opposera les employés postiers de Lapalme au gouvernement Trudeau, le premier ministre répondant aux ouvriers de « manger de la marde ». Les syndicats souhaitent une réforme complète de la société, et les différents leaders syndicaux de l’époque seront bien malgré eux impliqués dans la crise d’Octobre.

Montée du nationalisme

Le Rassemblement pour l’indépendance nationale est fondé en 1960. Dans un contexte mondial de décolonisation, ses membres rêvent de voir le Québec devenir un État indépendant. C’est dans les mêmes années que le terme Québécois remplacera peu à peu l’appellation Canadien français. Lors du défilé de la Saint-Jean-Baptiste de 1969, la présence de Pierre Elliot Trudeau entraîne des émeutes, et près de 300 personnes seront arrêtées, menant à une radicalisation de certaines d’entre elles. L’événement est surnommé le Lundi de la matraque. L’année suivante, la nouvelle loi 63 proposée par le gouvernement crée de nouvelles tensions linguistiques sur un terreau déjà fertile à la confrontation. Les élections provinciales d’avril 1970 sont perçues comme un échec pour les plus fervents indépendantistes, alors que le nouveau Parti québécois, fondé par René Lévesque en 1968, ne réussit à faire élire que sept députés bien qu’il ait récolté près du quart des voix. Pour certains, c’est la preuve de l’échec des voies démocratiques.

FLQ

Fondé en 1963, le Front de libération du Québec est un mouvement terroriste, souverainiste et marxiste-léniniste. Composé d’intellectuels comme de travailleurs, le mouvement est fractionné en cellules. Sensible aux luttes sociales, il souhaite bâtir une société répondant aux besoins des travailleurs francophones et son manifeste s’attaque librement à la classe bourgeoise, surtout anglophone à l’époque. Le FLQ prend pour cible des symboles du gouvernement fédéral, comme l’armée canadienne. Le mouvement est financé par des vols de banques et semble avoir un certain soutien de la population dans les premières années. Le mouvement posera plusieurs bombes dans des usines en débrayage dans les mois et années précédant la crise d’Octobre, ainsi que dans des boîtes aux lettres, symbolisant leur soutien aux employés de Lapalme. Plusieurs membres ayant été arrêtés depuis sa formation, le FLQ demande la libération de ces prisonniers politiques en échange de la libération de leurs otages.

Le Québec vu du Canada

En 1970, le Canada est encore un pays relativement jeune. Le pays a célébré le 100e anniversaire de la Confédération en 1967, mais il ne possède sa propre armée permanente que depuis 1914, et ne contrôle officiellement sa propre politique étrangère que depuis 1931. En 1970, cela ne fait que cinq ans que le Canada hisse son propre drapeau, l’unifolié, sans l’Union Jack britannique. La pression croissante pour l’indépendance du Québec pèse fortement sur les politiciens à Ottawa, car elle porte directement atteinte à l’unité nationale et menace d’anéantir les efforts d’édification de la nation de plusieurs générations.

En 1968, Pierre Elliott Trudeau, ardent fédéraliste, est élu premier ministre. Il rejette toute mention du séparatisme et fait de l’unité canadienne un élément clé de sa plateforme, affirmant : « Nous ne laisserons pas diviser ce pays, ni de l’intérieur, ni de l’extérieur ».

La Loi sur les mesures de guerre

La Loi sur les mesures de guerre invoquée pendant la crise d’Octobre a été rédigée pour la première fois en 1914, en réponse à la Première Guerre mondiale. Elle confère au gouvernement fédéral une vaste gamme de pouvoirs et permet au Conseil des ministres de contourner la Chambre des communes et le Sénat afin d’assurer la sécurité lors « d’une guerre, d’une invasion ou d’une insurrection, réelle ou soupçonnée ». La Loi sur les mesures de guerre prévoit également la suspension des libertés civiles, comme le droit à un procès ou la liberté de la presse, dans l’intérêt de la sécurité.

On y a eu recours lors des deux grandes guerres, et elle est connue pour avoir servi à faire emprisonner dans des camps d’internement, sans procès, des milliers de civils désignés comme « sujets d’un pays ennemi ». Elle permet aussi d’emprisonner les opposants au gouvernement pour sédition, comme ce fut le cas pour le maire de Montréal Camillien Houde en 1940. Au cours de la Première Guerre mondiale, la Loi sur les mesures de guerre a également permis aux troupes fédérales d’intervenir à Québec lors des émeutes de 1918 contre la conscription.

En 1960, le gouvernement fédéral rédige la Déclaration canadienne des droits, qui garantit aux Canadiens les droits qui leur ont été refusés pendant les guerres mondiales, comme le droit « à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne ainsi qu’à la jouissance de ses biens, et le droit de ne s’en voir privé que par l’application régulière de la loi ». Cependant, une disposition de dérogation fait en sorte que ces droits peuvent toujours être retirés par la Loi sur les mesures de guerre, comme ce sera le cas en 1970.

L’armée canadienne – une brève histoire

Les Forces armées canadiennes ne sont devenues une véritable armée qu’au début de la Première Guerre mondiale, en 1914. Jusqu’à la Confédération, la présence militaire au Canada était assurée par l’Armée britannique. À son retrait, celle-ci fut remplacée par une milice volontaire souvent mal entraînée et mal financée. En 1914, cette milice comptait un peu plus de 3 000 hommes, pour dépasser les 600 000 au cours de la guerre. L’Armée canadienne a fait ses preuves sur la scène internationale tant dans la Première que dans la Deuxième Guerre mondiale, remportant d’impressionnantes victoires telles que celle de la crête de Vimy (1917) et la libération des Pays-Bas (1945). Après les deux guerres mondiales, les Forces armées canadiennes ont acquis une réputation de gardiennes de la paix à l’échelle internationale.

Mais si l’armée a normalement le rôle de protéger une nation lors de conflits internationaux, que faisait-elle donc au Québec? Il faut savoir que l’armée, du temps où elle était une milice jusqu’à aujourd’hui, a une longue tradition d’intervention dans les affaires intérieures, que ce soit à la demande d’une municipalité, d’une province ou du gouvernement fédéral. En fait, l’armée a été appelée plus de 50 fois à intervenir lors de grèves, d’émeutes et d’élections au Québec seulement entre 1867 et 1970, plus que dans toute autre province. L’armée canadienne joue également un rôle important en appuyant les forces de sécurité, pendant les Jeux olympiques par exemple, ainsi qu’en portant secours aux sinistrés.

« Dans ce temps-là, il y avait beaucoup d’implication des forces armées, en support de la police, parce que la police n’était pas équipée comme aujourd’hui avec des groupes tactiques. Et nous, c’est nous qui faisait [sic] ces fonctions. On faisait l’anti-émeute et puis les fonctions qu’on ne fait plus maintenant. » Carol Mathieu

Les années 1960 et 1970 ont été une période de bouleversements sociaux et politiques dans le monde entier. Étudiants, travailleurs et paysans se sont mobilisés dans des dizaines de pays, luttant pour les droits civils et manifestant contre la guerre, l’impérialisme, le capitalisme et les régimes politiques répressifs. Même si la plupart de ces mouvements ont été plutôt pacifiques, certains groupes ont eu recours à des actes de violence, tels que des guérillas et des enlèvements, pour promouvoir la libération de l’oppression et du colonialisme ainsi que d’autres objectifs politiques.

Il faut mentionner que le monde traversait également un processus rapide de décolonisation; plus de 40 pays ont accédé à l’indépendance seulement dans les années 1960. Et celle-ci fut souvent acquise au moyen de manifestations et de soulèvements violents, voire d’une guerre pure et simple.

Le FLQ s’est directement inspiré de certains de ces mouvements, les fondateurs ayant exprimé une admiration non dissimulée pour les révolutionnaires de Cuba, de l’Algérie et de l’Uruguay. Deux membres se sont même entraînés auprès de la guérilla palestinienne en Jordanie.

Carte du monde montrant une sélection de mouvements d’étudiants, de mouvements d’indépendance et de mouvements terroristes actifs de 1962 à 1970.
En vert : sélection de mouvements de protestation étudiants
En bleu : conflit ou guerre d’indépendance
En bleu foncé : les mouvements terroristes

Qu’est-ce qu’une opération domestique?

Grève policière de 1969

Découvrez les principaux acteurs de la crise d’Octobre