Les interventions américaines au Moyen-Orient selon Call of Duty

La série Call of Duty à une histoire influente dans le domaine des jeux vidéo. Celle-ci introduisit de nombreux joueurs au style des first-person shooters (FPS) et popularisa la Seconde Guerre mondiale dans une autre sphère du jeu vidéo que le jeu de stratégie. Néanmoins, nous nous intéresserons à une période beaucoup plus proche de nous. Plus spécifiquement, les interventions américaines lors du début du 21e siècle au Moyen-Orient. Cette période comporte de nombreuses interventions qui ont influencé la région et qui ont profondément changé le statu quo de la région.

Les interventions américaines au Moyen-Orient

Pour commencer, nous devons comprendre que le Moyen-Orient fût toujours une région d’intérêt pour les États-Unis puisque comportant d’importantes réserves de pétroles. À cet effet, un contrôle important de la région pouvait influencer l’approvisionnement mondial en pétrole et permettre de créer un monopole. C’est ce qui explique le choix des Américains de vouloir posséder des alliés dans la région en commençant avec une alliance entre eux et l’Arabie Saoudite dès la fin de la Seconde Guerre mondiale et le soutien d’un coup d’État en Iran en 1953 contre le gouvernement démocratiquement élu afin de réinstaller le Shah (Roi) iranien, favorable à l’exploitation étrangère du pétrole. Avec ces deux exemples, nous voyons bien comment les Américains ont toujours été intéressés, mais cette région recevra un intérêt accentué avec l’entrée dans le 21e siècle.

Cet intérêt commence déjà au début des années 1990 avec la Guerre du Golfe. Celle-ci fut déclenchée après que Saddam Hussein, dictateur de l’Irak, envahit le Royaume du Koweït en 1991, afin de rechercher du capital chez les riches réserves de pétroles du pays. Ceci fut interprété comme une menace pour les Américains qui s’empressent de former une coalition internationale dans le but de condamner Saddam Hussein, de repousser l’armée irakienne du Koweït et de punir l’Irak pour cet assaut. Cette première guerre mit dans la tête des Américains la menace du Moyen-Orient qui fût amplifié par l’attentat sur le World Trade Center le 11 septembre 2001. Pour remettre en contexte, les États-Unis ont vécu une période de domination unipolaire entre 1991 et 2001. Dix années où les États-Unis se pensaient virtuellement invincibles depuis la chute de l’Union soviétique et ne voyaient aucune menace qui pouvait remettre sa domination en question.

L’arrivée d’Al-Qaïda et d’Osama Bin Laden sur la scène internationale causa une cassure dans cette perception d’invincibilité et mena les Américains aux autres conflits qui nous intéressent : la Guerre d’Afghanistan et la Guerre d’Irak de 2003. La première commença en 2001 afin de débusquer les terroristes ayant causé l’attentat. Quant à la deuxième, elle fut causée par un ensemble de preuves cherchant à justifier une guerre préventive face à un pays déjà défait par la Guerre du Golfe qui posséderait des armes de destruction massive. Nous savons maintenant que ces preuves n’étaient aucunement fondées et servaient uniquement à nourrir la paranoïa du gouvernement Bush. Dans les deux cas, nous parlons de deux guerres de longues durées qui menèrent à plus de conflits et causant la mort de centaines de milliers de civils.

Outre l’aspect très tragique de l’évènement, l’attaque terroriste du 11 septembre 2001 fut aussi un signal très fort que les États-Unis n’étaient pas épargnés par les attaques extérieures (source : Wiki Commons).

Nous avons ensuite, les conflits en lien avec le Printemps arabe de 2011 et causé par les protestations populaires qui menèrent à plus de perturbation. Dans ces cas, l’implication américaine dans les conflits internes en Lybie et en Syrie ont vu les États-Unis joindre une faction rebelle afin de faire pencher la balance en leur faveur, malgré une certaine réticence de leur part. Selon les experts, c’est en utilisant des moyens n’impliquant pas l’utilisation massive de soldat, telle que des bombardements ou envoyés des armes à la faction qu’ils soutenaient, qui étendit la durée du conflit. Nous avons également l’extension de la Guerre au terrorisme dans les années subséquentes avec l’utilisation de drones qui ont terrorisé la région en faisant des frappes aériennes afin d’éliminer des menaces terroristes, tout en faisant des dommages collatéraux chez les civiles.

L’un des conflits les plus importants du 21e siècle, la Guerre d’Irak galvanisa la société américaine et influença grandement sa culture populaire durant de nombreuses années (source : Wiki Commons).

Les jeux Call of Duty: Modern Warfare

Nous avons vu les différents conflits américains au Moyen-Orient et maintenant nous nous pencherons sur les jeux de la série Call of Duty qui en parle. Nous utiliserons les sous-titres des jeux pour les différencier. Dans ce cas, nous avons les jeux Modern Warfare de 2007, Modern Warfare 2 de 2009, et leurs réadaptations plus récentes de 2019 et de 2022. Par souci de simplicité, nous séparerons les quatre jeux en deux groupes puisque certains des jeux constituent des ensembles narratifs. Dans ce cas, nous mettrons les jeux de 2007 et 2009 ensembles et ceux de 2019 et 2022 ensembles.

Les deux premiers jeux traitent beaucoup plus des conflits autour du début des années 2000, tandis que les deux derniers abordent les conflits situés dans les années 2010. Les deux premiers jeux donnent un portrait très manichéen des conflits géopolitiques en dépeignant un monde déchiré entre deux camps qui sont clairement identifiés comme étant gentil et méchant. Dans le cas du Moyen-Orient, un dictateur renverse le régime d’un pays de la région anonyme et dépose le président proche des États-Unis. Nous savons qu’il est mauvais puisqu’il est soutenu par les Russes ultranationalistes et possède des armes nucléaires. Ces mêmes armes seront, par la suite, utilisées pour détruire la capitale du pays renversé et pour annihiler les forces américaines.

Dans le second jeu, bien que le dictateur ait été éliminé par une opération militaire clandestine, les États-Unis continuent de débusquer ses sympathisants qui ne sont plus situés dans la même aire géographique. Le reste du jeu oubliant bien vite le conflit au Moyen-Orient pour se concentrer sur une histoire de complot terroriste permettant une invasion russe de la côte est américaine. Cette vision est également accompagnée d’une représentation orientaliste et raciste des Arabes et des habitants de la région, renforçant l’antagonisassions de ces populations et l’importance des États-Unis comme police du monde et gardien de la démocratie. Surtout que dans le jeu, le pays fait beaucoup, penser à l’Irak, mais celui-ci est représenté par la péninsule arabique et plus tard l’Asie central, plus précisément l’Afghanistan.

La couverture de Call of Duty 4: Modern Warfare publié en 2007 (source : Wiki Commons).
La couverture de Call of Duty: Modern Warfare publié en 2019 (source : Wiki Commons).
La couverture de Call of Duty: Modern Warfare 2 publié en 2009 (source : Wiki Commons).
La couverture de Call of Duty: Modern Warfare II publié en 2022 (source : Wiki Commons).

Le deuxième ensemble de jeux, les relances de la série Modern Warfare, dépeignent plutôt un monde en teinte de gris, bien que ce soit une tentative puisque la lentille est toujours autant teintée par l’idéologie dominante. Dans ce cas, le conflit est un mélange entre la Guerre civile syrienne pour le déroulement du conflit, et la Guerre civile libyenne par rapport au positionnement des forces occidentales. Au lieu de mettre les Arabes dans le même panier, les développeurs ont créé un pays s’appelant l’Urzikstan où ils ont pu désigner des factions inédites : l’une se battant pour leur indépendance, et une autre constituée de terroristes soutenus par les Russes et faisant des attentats contre les pays occidentaux. De ce côté, les jeux accentuent la méchanceté des antagonistes.

Dans Modern Warfare (2019), l’évènement de l’autoroute de la mort est dépeint comme étant un produit des Russes dans la mission intitulé « l’Autoroute de la mort », alors que ce dernier est une référence à un évènement commis par les Américains pendant la Guerre du Golfe de 1991. Les jeux essayent néanmoins ainsi de se donner une allure sérieuse en prétendant représenter un monde nuancé, mais où les Américains restent quand même les grands gentils de l’histoire. Leur seul grand défaut étant que ceux-ci craignent de se salir les mains sur la scène internationale en s’impliquant en Urzikstan.

Conclusion

Finalement, ce que nous voyons est une vision néoconservatrice des conflits américains au Moyen-Orient où les États-Unis sont une force positive dans ce monde et que ses ennemis sont autant dangereux que ce que nous pouvons nous l’imaginer. En sommes, c’est une vision d’un monde hostile qui chercherait à engloutir les bons états démocratiques de l’ouest. Cette vision, fortement biaisée, ignore complètement la réalité matérielle et l’inégalité entre les États et, malgré les intentions des développeurs, continue à propager une vision pro-impérialiste et pro-américaine de ces conflits.

L’objectif ici n’est pas de déconseiller à jouer à ces jeux, mais plutôt une mise en garde : il faut faire attention à ce que nos médias racontent, et les jeux vidéo sont à inclure également. De nombreux joueurs ont adopté la vision des Call of Duty par rapport à notre perception du monde contemporain et c’est une vision qui reste proche du pouvoir. Nous devons toujours demeurer critiques vis-à-vis de ce que nous consommons, et ces jeux ne sont pas une exception.

Article rédigé par Pierre-Luc Noël, candidat à la maîtrise en histoire à l’Université du Québec à Montréal, pour Je Me Souviens.

En complément :

En 2019, en vue de notre toute première exposition, Se souvenir de l’Afghanistan, l’équipe de Je me souviens rencontra plusieurs vétérans de la Guerre d’Afghanistan. Lors de l’entrevue avec Nicholas Gauthier, du Royal Montreal Regiment, le sujet de la représentation de la guerre dans les jeux vidéos fut abordé. Pour accompagner cet article, nous vous proposons ainsi ce court vidéo où Nicholas Gauthier explique son ressenti personnel sur la question.

Sources :

Pour une approche plus académique :