Le 107e bataillon (Timber Wolf)


Des milliers de personnes autochtones, métis et inuits se sont enrôlés dans l’armée canadienne au cours de la Grande Guerre. En Europe, plusieurs de ces hommes étaient dispersés d’une unité à une autre. En revanche, en 1915 le gouvernement canadien autorisa la création d’une unité dédiée pour les personnes autochtones : le 107th Battalion (Winnipeg), CEF, surnommé le « Timber Wolf ». Déployé en Europe, les hommes du bataillon prouvèrent immédiatement leurs valeurs.

Photo portrait du tireur d’élite Michael Ackabee. Originaire de la nation Wabigoon, il combattit avec le 28th Battalion (Northwest) durant la guerre (source : BIbliothèque et Archives Canada).

De nombreuses personnes autochtones sont célébrées pour leurs services militaires au sein de l’armée canadienne durant la Première Guerre mondiale. En effet, des noms comme ceux des volontaires John Shiwak, Francis Pegahmagabow et Henry Norwest sont fréquemment nommés pour acclamer leurs prouesses militaires et leurs contributions positives dans leur communauté ; du moins, lorsqu’ils survécurent de la guerre.

À l’orée de la Première Guerre mondiale, le 107e bataillon (Timber Wolf) est l’une des deux unités canadiennes composées majoritairement de soldats autochtones et métis, avec le 114th Battalion (Haldimand). Ce dernier ayant principalement agit comme unité de réserve, le Timber Wolf est ainsi le seul à avoir combattu en Europe en tant que bataillon. Les membres du 107e bataillon surent ainsi se démarquer tout le long de leur service militaire durant la guerre : de la crête de Vimy à la colline 70.

Le recrutement des personnes autochtones, métis et inuit au début de la Grande Guerre

Il n’est probablement pas étonnant de savoir qu’au début de la Première Guerre mondiale, plusieurs communautés ethniques non-blanches étaient d’abords refusées par l’armée canadienne pour le recrutement. En effet, pour plusieurs officiers de l’époque, la croyance était que la guerre était une affaire d’hommes blancs ; et, si possible, d’hommes anglophones. Cependant, malgré ces politiques discriminatoires, plusieurs personnes tenaient tellement à rentrer dans l’armée canadienne qu’ils réussirent à passer les mailles du filet, d’une façon ou d’une autre.

Il n’est pas clair combien de personnes autochtones, métis ou inuits se sont portées volontaires dans l’armée. À l’époque, les recrues devaient simplement indiquer s’ils étaient issues des nations autochtones ayant signé un traité avec le gouvernement fédéral. En comptant ces personnes, on évalue à environ 4 000 personnes. Toutefois, le nombre est probablement beaucoup plus élevé en incluant les recrues métis et inuit – comme le tireur d’élite John Shiwak. Finalement, soulignons que le recrutement des personnes autochtones ne fut encouragé par l’Empire Britannique qu’à partir de 1916, lorsque la guerre provoqua des pertes terribles dans les forces armées. Le besoin en recrues outrepassa ainsi le racisme institutionnel.

Paul Michel, de la nation de Gull Bay, avait une femme et six enfants lorsqu’il décida de s’enrôler dans l’armée canadienne. Sa décision ne fut pas bien reçu : sa femme protesta vivement et Michel décida de s’enrôler en cachette (source : Bibliothèque et Archives Canada).
Paul Michel en uniforme de l’armée canadienne. Il fut déployé en Europe où il fut blessé deux fois, mais marcha tout de même en Allemagne avec son bataillon. Il retourna par après chez sa famille (source : Bibliothèque et Archives Canada).

La fondation d’une unité autochtone

Une année plus tôt, en 1915, le politicien conservateur Glenlyon Campbell commença à protester le gouvernement pour la formation d’une unité formée de soldats autochtones. Issu d’une famille riche du Manitoba, Campbell était, d’une façon ou d’une autre, familier avec plusieurs des nations autochtones de la province.

À son enfance, Campbell fut envoyé en Écosse pour faire son éducation et, selon son père, fuir la première rébellion menée par le chef métis Louis Riel (1869-1870). À son retour, en tant qu’adulte, il s’engagea dans la milice canadienne pour combattre la seconde rébellion de Louis Riel en 1885 – il reçut d’ailleurs le rang de capitaine pour son service.

Les relations entre Campbell et les tribus du Manitoba ne se résument pas aux luttes armées, toutefois ! Plusieurs communautés autochtones se rangèrent du côté du gouvernement fédéral durant les rébellions de Louis Riel. De fait, c’est beaucoup à travers d’eux que Campbell, en tant qu’éleveur de bétail, entretint des liens. Au fil des années, il se mit d’ailleurs à maîtriser différentes langues autochtones comme le cri et l’ojibwé. C’est sans mentionner non plus qu’il maria lui-même l’une des filles du chef Keeseekoowenin, Harriet Burns.

En novembre 1915, il est autorisé par le gouvernement à former une unité qui serait envoyée en Europe : le 107e Bataillon (Winnipeg). Sous l’initiative de Campbell, le bataillon devint de facto une unité composée à majorité de volontaires autochtones de la région du Manitoba. En utilisant sa réputation, Campbell voyagea de nation en nation pour recruter des volontaires. Dans certains cas, il alla aussi dans des pensionnats pour recruter de jeunes garçons :

« Si ces garçons sont avec moi, écrit-il, ils seront sous une supervision plus étroite et plus aimable que dans tout autre bataillon de l’Ouest… même s’ils n’ont pas tout à fait dix-huit ans. » (source)

Sans minimiser les conditions horribles dans les pensionnats autochtones et les circonstances derrières l’enrôlement des recrues là-bas, il semble que Campbell aurait suivi une tactique de recrutement courant dans le monde anglo-saxon. En effet, durant la guerre, plusieurs officiers britanniques se rendent dans les écoles secondaires pour encourager les jeunes garçons, bientôt majeurs, à rejoindre l’armée. Au Canada, dans les écoles anglophones, il était courant que les professeurs encourageaient aussi leurs élèves de participer à l’effort de guerre : en faisant de la collecte de nourritures ou d’argents, en participant à des spectacles et des cérémonies, en travaillant dans les champs ou, tout simplement, en s’enrôlant dans l’armée. 

En peu de temps, plus de 1 700 personnes des différentes nations autochtones du Manitoba appliquèrent alors pour rejoindre le Timber Wolf. Campbell dû refuser 600 applicants et recruter les meilleurs personnes pour former ses premiers officiers et soldats.

Un article de journal daté de janvier 1916, (source : Mémorial virtuel de guerre du Canada).

Le bataillon est d’abord constitué à moitié de soldats blancs et de soldats autochtones. La majorité d’entre eux proviennent de différents groupes ethniques établis au Manitoba : des Niitsítapi (surnommé les « blackfoot » par les colons blancs), des Cris, des Ojibwés, des Haudenosaunee et des Dakotas. Plusieurs des nouveaux volontaires ne maîtrisaient pas l’anglais, à la base, et une formation dû leur être donnée afin de se conformer aux exigences de l’armée britannique.

Tom Longboat (1886-1944)

L’une des personnes transférées dans le 107e fut le coureur olympique de renommé mondial de course, Tom Longboat. Issu de la communauté Onondaga de la Réserve des Six Nations, Tom (né Gagwe:gih), n’avait aucune raison de rejoindre l’armée : sa carrière de coureur lui était très lucrative et il venait tout juste de se marier avec Lauretta Maracle, une enseignante. Malgré tout, l’appel de la guerre le rejoignit. Avec le 107e, Longboat fut nommé estafette : un soldat chargé de transmettre des messages d’un endroit à un autre – mettant à profit, du même coup, ses talents de coureur ! Longboat survécut à la guerre, mais fut malheureusement blessé par deux fois.

À gauche : Le soldat Tom Longboat, tout à droite, dans une tranchée en France, en 1917 (source : Bibliothèque et Archives Canada).

Service militaire en Europe

Les hommes de Campbell arrivent en Europe le 25 octobre 1916, après avoir reçu l’entraînement de base au Manitoba. Comme dans le cas de n’importe quelle autre unité, plusieurs transferts de troupes survinrent à leur arrivée. En l’occurrence, toutefois, ces transferts impliquèrent principalement l’arrivée de nouveaux soldats autochtones et le départ de plusieurs soldats blancs vers d’autres unités. S’il est envisagé à un moment de démanteler complètement le Timber Wolf et de disperser les soldats parmi d’autres bataillons, Campbell y refuse catégoriquement en argumentant que ses hommes risquent d’être mal traités parmi des unités blanches.

Arrivé en Europe, l’unité est désignée comme un bataillon de pionniers. Ces bataillons étaient à la fois formés comme troupes d’infanteries que comme ingénieurs. Au front, les soldats devaient construire des tranchées, des abris, des clôtures, des chemins de fer et transporter des munitions. Le tout demandait aussi à ce que les hommes participent directement aux opérations de combat.

D’ailleurs, mentionnons rapidement qu’un soldat d’un bataillon de pionniers devait transporter beaucoup plus d’équipement qu’un soldat d’infanterie typique. En effet, en plus de leurs armes et de leur équipement régulier, ils devaient aussi amener tous leurs outils de construction : incluant des planches de bois et des fils barbelés ! 

Les bataillons de pionniers avaient comme responsabilité de constuire divers installations au front. Ici, des membres du 124th Pioneer Battalion construisent de nouveaux quartiers. Photo prise quelque part en septembre 1917 (source : Bibliothèque et Archives Canada).

Le premier fait d’armes important pour le Timber Wolf est lors de bataille de la crête de Vimy, du 9 au 12 avril 1917. L’une des plus grandes batailles de l’histoire militaire canadienne, la bataille de Vimy est aussi la première fois que toute l’armée canadienne combattirent en un seul corps uni.

En août, le 107e se démarqua particulièrement durant la bataille de la colline 70. Là-bas, sa première tâche fut de creuser de nouvelles tranchées le plus rapidement possible… et sous les tirs et les bombardements ennemis. Les membres du Timber Wolf allèrent au-delà de ce qui était attendu d’eux. Après d’intenses combats, une compagnie se porta volontaire pour chercher des blessés pris dans le No Man’s Land. Grâce à leurs efforts, 30 dépouilles furent retrouvées et 25 soldats furent sauvés, mais à un prix terrible : les Allemands lancèrent du gaz toxique. 88 soldats du Timber Wolf furent empoisonnés. Au total, de la troupe envoyée à la colline 70, 21 soldats furent tués et 140 autres furent blessés.

Des soldats canadiens se reposent momentanément dans une tranchée capturée, aux environs de la colline 70, en août 1917 (source : Bibliothèque et Archives Canada).
Prise en octobre 1917, cette photo montre un important groupe de soldats canadiens de retour après la capture de la colline 70, en octobre 1917 (source : Bibliothèque et Archives Canada).

Une unité qui a changé les esprits

Le 20 octobre 1917, Campbell meurt au front. Sous un nouveau commandement, le 107e continua à combattre au front jusqu’à sa dissolution le 28 mai 1918.

Si la discrimination ne se termina pas à la fin de la guerre, le service militaire des hommes du Timber Wolf contribua tout de même à changer la perception de plusieurs de leurs camarades blancs. Comme le note l’historien Steven A. Bell, durant toute son existence, le Timber Wolf n’eut aucune sanction ou d’infraction disciplinaire. Le signe d’une troupe motivée et disciplinée, elle est aussi celle d’une troupe appréciée par ses contemporains, malgré de graves embûches initiales.

Article rédigé par Julien Lehoux pour Je Me Souviens.

Sources :

Pour une approche plus académique :

Finalement, Bibliothèque et Archives Canada ont numérisé plusieurs documents d’archives en lien avec la participation autochtone à la Deuxième Guerre mondiale :