La grippe « espagnole » de 1918

La Première Guerre mondiale s’est peut-être terminée le 11 novembre 1918, mais pas la vague de décès qui a déferlé sur la planète. Cette année-là, une pandémie d’influenza, qualifiée à tort de grippe espagnole, s’est répandue dans le monde et a emporté quelque 50 millions de personnes, la plupart durant la deuxième vague de la fin 1918. En nombre absolu, la grippe « espagnole » est la pandémie la plus mortelle de l’histoire.

Cette grippe, causée par une souche virulente du virus de la grippe H1N1, a ceci de particulier qu’elle s’est propagée rapidement en raison du déplacement des troupes et qu’elle touchait de manière disproportionnée les jeunes en bonne santé. L’âge moyen des victimes était de 28 ans, soit à peu près le même que celui des soldats. Par ailleurs, au Canada comme à l’étranger, les infirmières étaient au front de la pandémie d’influenza de 1918. Certaines en ont payé de leur vie.

Lettre de James William Stares à M. Irwin datée du 21 juillet 1918

« Je ne vais vraiment pas bien ces derniers temps. J’ai été hospitalisé en raison de la dernière épidémie de “grippe espagnole”. Laisse-moi te dire que ce n’est pas plaisant.

Graves maux de tête, perte partielle de l’usage des jambes, douleurs dans tout le corps et fièvre. Pendant une semaine, je n’ai fait que regarder le plafond, compter les mouches, imaginer des formes sur la peinture, repasser certaines batailles et tuer les Allemands par milliers (dans ma tête). Le garçon du lit d’à côté a cru bon se cacher en dessous du lit. (J’imagine que je délirais.) Je n’ai pas pu m’empêcher de rire quand il m’a raconté ça. Et je dois dire que j’ai eu un amour d’infirmière. C’était une perle. Je l’adore. »

(www.canadianletters.ca)

 

Ligne de temps

Première vague (printemps 1918) - Deuxième vague (automne 1918)

Photos : American Unofficial Collection of World War I Photographs, Otis Historical Archives, National Museum of Health and Medicine, BAnQ, American Photo Archives, BAC-LAC

Symptômes

Certains cas d’influenza se présentaient comme une grippe normale : fièvre élevée, douleurs et toux. Le virus était souvent compliqué par une pneumonie sévère. Dans les cas les plus graves, certains patients saignaient spontanément du nez, de la bouche et même des yeux. D’autres toussaient du sang. Pour d’autres encore, la peau changeait de couleur; des taches de couleur acajou apparaissaient d’abord sur les joues, puis sur l’ensemble du visage. Les lèvres et les mains devenaient ensuite bleues à cause du manque d’oxygène, un symptôme connu sous le nom de cyanose et annonciateur d’une fin proche.

(Image : Otis Historical Archives, National Museum of Health and Medicine)

 

 

D’où venait la grippe espagnole?

Les historiens et les épidémiologistes ne s’entendent toujours pas sur la question.  Aucune hypothèse n’est confirmée. À ce moment-là, les médecins ne pouvaient pas séquencer les virus; ces derniers n’étaient même pas visibles avec les microscopes de l’époque! Il ne reste pas non plus d’échantillons de tissus que les scientifiques d’aujourd’hui pourraient observer afin de déterminer l’origine du virus avec certitude. On croit toutefois que celui-ci pourrait provenir d’Étaples, en France (cas similaires recensés en 1916), de Shansi, en Chine (cas similaires recensés en 1917), ou du comté de Haskell, dans le Kansas, aux États-Unis (cas similaires recensés non loin des camps d’entraînement militaire en janvier 1918). Ce qui est sûr, c’est qu’elle ne venait pas d’Espagne. On l’a appelée ainsi parce que l’Espagne était neutre durant le conflit, et qu’elle ne censurait pas ses journaux comme la plupart des pays en guerre.

(Photo : Naval Historical Society)

Lettre d’Emily Adams à George Walter Adams, 22 octobre 1918

« J’imagine que tu as entendu qu’il y a deux épidémies : l’une, de grippe espagnole, et l’autre, de pneumonie. La situation est devenue si grave que les théâtres et les cinémas sont fermés et que les églises ne peuvent célébrer qu’un seul service religieux. L’hôtel Arlington a été converti en hôpital. Mossop House aussi. J’ai le regret de t’annoncer que Frank Bresetor est décédé d’une pneumonie la semaine dernière… Fred Hall est allé récupérer le corps et a dit à Charlie que le train transportait 60 corps. »

La grippe « espagnole » au Canada

On estime qu’au Canada, environ 55 000 personnes sont décédées de la grippe et de maladies connexes. La plupart de ces morts étaient concentrées sur une période de quelques semaines seulement à l’automne 1918. Beaucoup pensent que ce sont les soldats blessés qui ont déclenché la deuxième vague de la pandémie au Canada à leur retour de la guerre. Toutefois, depuis le désastre du Llandovery Castle, le Canada ne rapatriait plus les soldats blessés à bord de navires hospitaliers. La deuxième vague est plutôt arrivée par les États-Unis. Effectivement, les soldats américains infectés s’arrêtaient dans les villes portuaires canadiennes telles qu’Halifax et Montréal. Des milliers de soldats quittaient toujours les États-Unis et le Canada pour aller se battre en Europe!

En 1918, le Canada a également mobilisé le Corps expéditionnaire sibérien, un corps d’environ 4 000 hommes envoyés en Russie pour empêcher l’Allemagne d’accéder aux champs de pétrole russes. Ces hommes, recrutés dans des bases de partout au Canada, ont été envoyés vers l’ouest en grand secret. Évidemment, ils ont apporté la grippe avec eux partout où ils se sont arrêtés. Et comme les autorités municipales n’étaient pas au courant de cette mobilisation très secrète, elles n’étaient pas préparées pour les éclosions qui ont suivi.

Les nombreuses éclosions qui sont survenues presque simultanément dans l’ensemble du Canada ont entraîné un besoin accru d’infirmières et de médecins. Mais le pays connaissait une pénurie d’infirmières, car beaucoup avaient été envoyées à l’étranger. Par conséquent, des centaines de femmes, détenant ou non une formation médicale, se sont portées volontaires pour remplir ce rôle dans le Détachement d’aide volontaire, risquant leur vie pour soigner les malades et les mourants. Elles ont notamment apporté leur contribution en lavant les patients, en leur donnant leurs médicaments, en s’assurant qu’ils étaient bien hydratés et en surveillant leurs signes vitaux.

Siberian Exp Force, New Westminster Archives
Archives de la ville de Toronto

Traitements contre l'influenza

Il n’existait pas de traitement contre la grippe, et les antibiotiques, qui auraient permis de traiter la pneumonie qui l’accompagnait souvent, n’avaient pas encore été découverts. Le traitement le plus efficace, qui était aussi le meilleur moyen de mener à une évolution positive de l’état de santé du patient, était le soutien et les soins apportés par un personnel infirmier compétent.

Cela ne signifie pas que scientifiques, médecins et autres experts n’aient pas tenté de trouver un remède. En fait, les « traitements » contre la grippe abondaient malgré leur inefficacité, voire leur dangerosité. L’industrie pharmaceutique était très peu réglementée en 1918, et beaucoup d’entreprises ont vu dans la pandémie une occasion de faire de l’argent en commercialisant rapidement des « traitements préventifs » et des « remèdes ». La plupart étaient sans danger, mais certains provoquaient de graves effets indésirables s’ils étaient pris en grande quantité.

En outre, les médecins prescrivaient des doses d’aspirine dangereusement élevées, de même que du mercure, de l’arsenic et de la strychnine (trois substances toxiques).

Mesures préventives

Partout dans le monde, les médecins et les autorités de santé publique ont dû compter sur des interventions non pharmaceutiques pour freiner la propagation de la maladie. Les plus courantes comprenaient la fermeture des écoles, des théâtres et des lieux de culte, la mise en quarantaine des ports, l’instauration de quartiers d’isolement, et la recommandation d’éviter les foules, de garder ses fenêtres ouvertes et de se laver les mains. À certains endroits, il était aussi recommandé de porter un masque de gaze.

Au Canada, comme il n’y avait pas d’infrastructure de santé publique centralisée, les mesures et les recommandations variaient d’une province à l’autre, et même d’une ville à l’autre. En effet, il est arrivé que des municipalités défient les recommandations établies par les autorités provinciales! En Colombie-Britannique, par exemple, la province recommandait de fermer les écoles, mais la ville de Vancouver a refusé, ce qui a grandement retardé les fermetures. L’Alberta était quant à elle la seule province à obliger ses citoyens à porter un masque, mais comme il était très difficile d’appliquer la nouvelle loi, peu de gens s’y sont conformés.

(Photo : Alberta Board of Health – University of Calgary Press)

 

Au Québec, Montréal a été durement touchée par la deuxième vague. La grippe est apparue dans les casernes militaires le 20 septembre, et en une semaine, elle sévissait dans les écoles. Un mois plus tard, le 21 octobre, le bilan des décès atteignait un sommet dépassant les 200 morts par jour (à Montréal seulement). Ce n’est toutefois que le 7 octobre que la ville a émis ses premières restrictions, ordonnant la fermeture des écoles, des théâtres et des lieux de réunion publics. Défiant les chefs religieux, elle a également fermé les lieux de culte quelques jours plus tard.

(Photo : La Presse, 12 octobre 1918, BAnQ)