Cet article fut publié dans le cadre de notre exposition sur la campagne d’Italie : À travers les mines et les vignes.
Consulter notre exposition pour en apprendre davantage sur l’histoire des soldats et des infirmières canadiennes envoyées en Italie !
Il y a des années, ma mère m’avait raconté qu’elle avait un oncle qui était mort durant la Deuxième Guerre mondiale. C’est tout ce que j’en savais, jusqu’à ce que je parte à la recherche de son histoire il y a environ un an. C’est un peu par hasard que j’ai trouvé l’endroit où il est enterré, ainsi que son dossier militaire. C’est en faisant des recherches dans les archives en ligne et en parlant avec la famille élargie que ma mère et moi avons pu reconstituer une partie de son histoire. La voici.
Rejoindre l’armée
Gérard Pelletier est né le 27 janvier 1919 à Sainte-Félicité de L’Islet, un petit village de Chaudière-Appalaches. Gérard aimait jouer des tours et se bagarrer, selon des membres de sa famille. Il a probablement pris son intérêt pour les Forces armées canadiennes d’un membre de la famille du voisin, qui était soldat. En effet, Gérard aimait essayer son uniforme et il disait que c’était son rêve de faire partie de l’armée.
À l’hiver 1939-40, Gérard est parti aux États-Unis pour être bûcheron, comme tant de Canadiens-français à l’époque. C’est à son retour au printemps qu’il a commencé à planifier son départ pour s’enrôler. Mes arrière-grands-parents, Delvina et Joseph Pelletier, se doutaient que Gérard avait un plan et espéraient que l’idée de rejoindre l’armée lui passe. Un matin, ils ont demandé à leur fils Léopold d’aller réveiller Gérard, mais il avait disparu. C’était un homme d’un village voisin qui l’avait conduit à Tourville pour aller prendre le train pour Québec. Gérard n’est jamais rentré à la maison.
Après avoir quitté Sainte-Félicité, Gérard s’est rendu à la Citadelle de Québec, où il s’est enrôlé avec le Royal 22e Régiment, le 14 mai 1940. Selon son dossier militaire, il avait complété une 4e année, et il voulait être commis après la guerre.
Gérard passe ses deux premiers mois à Valcartier pour son entraînement, puis il est embarqué pour Glasgow, en Écosse – comme de nombreux régiments de l’armée canadienne. Il passe ainsi les années 1940 à 1943 au Royaume-Uni, notamment dans la ville de Bordon, où il continue son entraînement. Signe de ses qualités en tant que soldat, il a eu droit de porter un badge pour bonne conduite en mai 1942.
Le 15 juin 1943, Gérard embarque pour l’Italie. Il débarque à Roger Beach, en Sicile, le 10 juillet 1943. C’est le début de l’Opération HUSKY.
La campagne d’Italie
En consultant l’histoire officielle de la Campagne d’Italie des Forces Armées Canadiennes, ainsi que le dossier militaire de mon oncle, j’ai tenté de reconstituer son trajet en Italie. Je crois qu’il faisait partie de la compagnie B du Royal 22e Régiment. C’est en Sicile qu’il aurait probablement réalisé ses premiers faits d’armes. En effet, selon le journal de guerre du Royal 22e Régiment, le 18 juillet, la compagnie B est confrontée à des tirs de mortiers et de mitrailleuses. Malgré tout, la compagnie de Gérard tient sa position et, selon ce qui a été rapporté : « Though this is the unit’s first battle all ranks conducted themselves as veterants [sic] of many a battle and many are recommended for acts of bravery and devotion to duty. »
Utilisez la fenêtre interactive ci-dessous pour explorer le parcours de Gérard Pelletier au Québec, en Grande-Bretagne et en Italie avec davantage d’informations (nous vous conseillons d’utiliser le plein écran pour une meilleure expérience).
Après avoir vaillamment combattu pour la libération de la Sicile, les troupes de la Première Division Canadienne se préparent ensuite à continuer la campagne sur l’Italie continentale, en commençant par le sud. Gérard a été blessé le 3 août 1943, tout juste avant de quitter la Sicile pour l’Italie continentale. Les soldats s’entraînaient alors à faire un débarquement sur les plages italiennes, mais faute de ressources, utilisaient des roches et des branches pour simuler les embarcations qu’ils utiliseraient. Plusieurs soldats ont été blessés lors de ces exercices; je crois que Gérard était de ce nombre. Il est demeuré hors-combat jusqu’en octobre 1943, alors que le Royal 22e Régiment est dans les environs de Campobasso.
La région de Campobasso, ainsi que le chemin que les forces Alliées devaient suivre pour prendre contrôle de l’Italie, étaient montagneux. À cette époque de l’année, il pleuvait souvent, ce qui gonflait les cours d’eau. De plus, tous les ponts étaient soit détruits ou solidement gardés par les forces nazies. C’est donc de longs chemins boueux que les troupes devaient utiliser pour se déplacer.
Prenez un instant et imaginez. En 1943, la guerre fait rage depuis quatre ans. Vous combattez en Italie depuis cinq mois, en marchant depuis le sud de l’Italie. L’équipement et les vêtements de l’époque ne sont pas ce qu’ils sont aujourd’hui. Lorsqu’il pleut, il est fort probable que tous les soldats étaient trempés jusqu’aux os. À ce temps-ci de l’année en Italie, le temps est pluvieux et froid. Vous êtes frigorifié·e et trempé·e. Vous avancez sur un chemin glissant, en pente et boueux, avec plusieurs kilos de matériel dans votre sac à dos. Vous devez rester vigilant·e et garder un œil sur tout ce qui se passe autour de vous, au cas où l’ennemi vous aurait tendu un piège. Malgré tout ça, les soldats du Royal 22e Régiment, tout comme ceux des autres régiments canadiens, néo-zélandais, indiens et britanniques, continuent d’avancer et de combattre pour libérer l’Italie, peu importe la météo et les conditions défavorables.
La prise de Casa Berardi les 13 et14 décembre a marqué un tournant dans la bataille pour prendre Ortona : les communications nazies de l’époque détaillaient le manque de munitions et de provisions, et l’impossibilité de tenir sans renforts suite à cette attaque. Le but des Alliés était ensuite de capturer Ortona, qui avait une position stratégique. En plus d’être directement à l’est de Rome, la ville est située sur un promontoire rocheux et a un port en eaux profondes. Elle est donc plus facile à défendre, en plus de permettre le ravitaillement des troupes. Ce ravitaillement est essentiel pour nourrir les troupes et les équiper avec les armes et munitions nécessaires. Sans Ortona, le ravitaillement devait débarquer dans le sud du pays et faire une grande partie du chemin sur les routes endommagées par les troupes ennemies en retraite.
Suite à la prise de Casa Berardi, la compagnie B du Royal 22e Régiment et le Carleton & York Regiment ont été chargés de protéger les positions canadiennes. Le 15 décembre au matin, on devait tenter une avancée sur la route vers Ortona, appuyé par l’artillerie. Malheureusement, il y a eu un problème de communication et aucun moyen pour avertir ou pour arrêter l’artillerie. Au lieu de bombarder les forces ennemies, c’est plutôt la compagnie B qui a dû essuyer les tirs, avec de lourdes pertes. L’ennemi en a alors profité pour attaquer les Canadiens, tout en bloquant les autres compagnies. C’est seulement en début d’après-midi, alors que l’ennemi tente une contre-attaque que les troupes sont capable de se déplacer à l’abri et que l’artillerie peut de nouveau faire feu.
Le dossier de Gérard indique qu’il est décédé le 16 décembre 1943, mais la date du 16 est écrite par-dessus une rature sur le 15 décembre. Le dossier n’indique pas de quoi mon oncle est mort. Je crois qu’il était parmi les soldats de la compagnie B la journée du 15 décembre 1943, et qu’il aurait été blessé sérieusement. Après tout, selon le journal du régiment, il est indiqué que 21 blessés sont évacués dès les premiers instants de l’évaluation des pertes. Si Gérard ne faisait pas partie de ces premiers évacués, il est possible qu’il aurait été retrouvé par après. Peut-être que l’équipe médicale sur place anticipait qu’il décéderait le jour même de ses blessures et qu’il aurait survécu jusqu’au lendemain ? Mon autre hypothèse est qu’il aurait survécu aux tirs de l’artillerie, mais qu’il aurait été sérieusement blessé dans les combats plus tard cette journée-là et serait mort le lendemain.
Au moment de sa mort, Gérard gagnait 1,50$ par jour. Il avait aussi acheté des bons de la Victoire, probablement avec son salaire de soldat. Les lettres que sa famille lui avait écrites ont été perdues. Pendant longtemps, les lettres qu’il avait écrites à sa famille restée au Canada sont restées dans le grenier chez ma grand-mère maternelle, mais il semble qu’elles ont maintenant disparues elles aussi. Aujourd’hui, il ne reste que très peu de photos de mon oncle, dont une photo de lui avec son régiment, et les médailles qu’il a reçues.
Le télégramme annonçant sa mort est arrivé chez mes arrière-grands-parents le 27 décembre 1943, tout juste après Noël. Mon arrière-grand-mère Delvina était la responsable de la poste du village; c’est donc elle qui a reçu la nouvelle en premier. On m’a dit que lorsqu’elle est arrivée à la maison, elle est allée s’enfermer dans sa chambre; tout le monde a tout de suite su que Gérard était mort.
Retrouver la tombe de Gérard
Gérard a d’abord été enterré à Casa Berardi, puis il a été transféré vers le cimetière de guerre canadien de la rivière Moro en 1947. C’est là que ma mère et moi sommes allées en novembre passé.
À ma connaissance, seule une cousine éloignée s’est rendue à Ortona, il y a quelques années, pour aller voir où mon oncle est enterré. Ma mère et moi y sommes allées en novembre 2022, pour y célébrer le Jour du Souvenir.
Je n’avais jamais mis les pieds dans un cimetière militaire. C’est impressionnant de voir toutes ces pierres tombales alignées les unes à la suite des autres. J’essaie d’imaginer, si au lieu de chaque pierre il y avait une personne, alors ce serait un grand rassemblement.
Les gens qui s’occupent du cimetière le font avec grand soin. Les pierres, les fleurs et le gazon sont très bien entretenus. En marchant à travers les rangs de pierres, on peut lire l’âge et la ville de naissance de chaque personne. Plusieurs personnes dans la vingtaine, mais aussi dans la trentaine ou la quarantaine.
On peut voir au bas de la pierre l’inscription « Au revoir au ciel ». En lisant le dossier de mon oncle, j’ai vu une lettre du Ministère de la Défense Nationale qui donnait la possibilité à mes arrière-grands-parents de choisir l’inscription sur la pierre. C’est donc eux qui auront dit un dernier au revoir à leur fils. À ma connaissance, ils n’ont jamais pu se rendre en Italie pour voir où il était enterré.
Ni moi ni ma mère ne le savions lorsque nous avons décidé d’aller à Ortona cette année-là, mais la ville allait aussi inaugurer un nouveau monument aux soldats canadiens lors du Jour du Souvenir, en plus de la cérémonie au cimetière de la rivière Moro.
Le matin du 11 novembre, nous avons rejoint la cérémonie d’inauguration de la Piazza dei Eroi Canadese, « La Place des héros canadiens ». Plusieurs personnes étaient présentes, dont l’ambassadrice du Canada en Italie.
Nous sommes ensuite allées au cimetière de la rivière Moro pour la cérémonie du Jour du Souvenir. Une centaine de personnes, des vétérans italiens et des étudiants des écoles du coin étaient à la cérémonie au cimetière de la rivière Moro.
Cette année marque les 80 ans de la bataille d’Ortona.
Ils ne vieilliront pas, comme nous, qui leur avons survécu.
Ils ne connaîtront jamais l’outrage ni le poids des années.
Quand viendra l’heure du crépuscule et celle de l’aurore,
Nous nous souviendrons d’eux.
Ils étaient jeunes, jeunes comme nous.
Ils ont servi, donnant généreusement d’eux-mêmes.
Nous leur promettons, en dépit du temps qui passe,
De porter le flambeau et de ne jamais oublier.
Nous nous souviendrons d’eux.
– Acte du Souvenir et Promesse de se souvenir
Article rédigé par Catherine Dion-Gagnon pour Je Me Souviens. Nous tenons aussi à remercier le personnel du Musée du Royal 22e Régiment pour leur aide dans la rédaction de cet article.