Harry H. Dinning (1890-1916) : héritage d’un soldat irlando-canadien dans Chaudière-Appalaches

Harry H. Dinning, originaire du canton d'Irlande au Québec, s'enrôla dans l'armée en 1916 avant de disparaître tragiquement durant la bataille de Ancre Heights. Figure mémorielle à Maple Grove, l'histoire d'Harry H. Dinning témoigne de la participation militaire des communautés anglophones dans la région de Chaudière-Appalaches durant la Grande Guerre.

Ce texte vise à réintroduire la mémoire du soldat canadien d’origine irlandaise Harry H. Dinning originaire de Maple Grove dans le canton d’Irlande. Encore aujourd’hui, la commémoration de son sacrifice est observable sur le site patrimonial Holy Trinity à Irlande. Or, nous vous proposons d’explorer l’histoire de cet homme pour faire briller son legs bien au-delà des portes de l’église qui a bercé sa jeunesse.

Origines de la famille Dinning

Au cours du XIXe siècle, la famille Dinning s’établit dans le canton d’Irlande, situé aujourd’hui dans la région de Chaudière-Appalaches. Le premier lieu d’établissement des Dinning est mis en évidence dans la toponymie, la route du même nom débouchant sur le noyau villageois de Maple Grove. À l’image de cette famille, la population qui s’établit dans le canton d’Irlande au XIXe siècle est majoritairement d’origine anglophone et se compose notamment d’Irlandais, d’Écossais et d’Anglais.

Si le portrait démographique est prometteur pour l’avenir des centaines de familles anglophones, il tend à changer drastiquement à partir de 1870, alors que les francophones sont de plus en plus nombreux à accaparer les terres dans ce canton limitrophe aux seigneuries. Le résultat de cette poussée franco-catholique dans les terres cause alors un exode progressif, mais soutenu, des jeunes anglophones vers d’autres régions canadiennes ou des États-Unis.

À l’image de nombreux jeunes de l’époque, Harry Humphrey Dinning, né à Maple Grove, s’établit à Calgary dans l’Ouest canadien. L’histoire du soldat d’origine irlandaise, porté disparu en octobre 1916 lors de la bataille d’Ancre Heights, atteste de l’héritage militaire canadien, mais également des legs de la communauté anglophone établie à l’origine dans le canton d’Irlande. C’est ce qui en fait un récit unique en son genre.

Déploiement outremer

Harry H. Dinning est né à Maple Grove dans le canton d’Irlande le 3 février 1890. Il s’enrôle à Calgary sous le nom de Henry H. Dinning. Plusieurs erreurs se sont glissées dans son certificat de recrutement. D’abord le jeune homme est nommé Leonard et ensuite Henry. Nous ne pouvons identifier pourquoi le nom Leonard y était inscrit. Le responsable administratif pourrait tout simplement avoir réutilisé un document d’enrôlement en y rayant le premier nom inscrit. C’est cependant grâce à la mention du nom de son père, William Dinning, à l’inscription de son lieu de naissance et à sa date de disparition que nous pouvons lier le soldat Henry à Harry H. Dinning.

RMS Olympic à son arrivant au port d’Halifax en octobre 1916. Cette classe de navire était utilisée pour la traversée des soldats en direction de l’Europe. Ces géants de la mer étaient issus de la même classe que le RMS Titanic (source : Cape Breton Military History Collection).

Établi depuis quelque temps dans l’Ouest canadien, le jeune homme de 26 ans rejoint l’armée de son propre gré le 18 avril 1916, quelques mois après que le gouvernement de Robert Borden annonça l’envoi de 500 000 soldats supplémentaires en Europe. En revanche, Dinning s’enrôle aussi dans une année marquée par la hausse considérable des décès canadiens en Europe. Le 28 juin, le jeune volontaire embarque à bord du N.S Olympic en direction de Liverpool en Angleterre. Une semaine plus tard, soit le 5 juillet, Dinning foule le sol anglais pour la première et dernière fois. Réaffecté à la Princess Patricia’s Canadian Light Infantry, il est déployé en France et rejoint son unité le 28 août. Tout comme bon nombre de ses confrères, Harry n’a pas reçu une formation militaire complète avant son déploiement. En effet, les pertes élevées constatées par l’enlisement du conflit ont joué sur la formation militaire des recrues. En ce sens, le délai entre l’arrivée des troupes sur le théâtre d’opérations et le déploiement sur la ligne de front a permis aux soldats de se familiariser avec l’environnement, les membres de leur unité et le matériel.

La fiche d'enrôlement d'Harry H. Dinning pour l'armée canadienne (source : Bibliothèque et Archives Canada).

Arrivée sur le front

C’est finalement le 18 septembre 1916 que le détachement de trois bataillons et de sa réserve du PPCLI est dirigé vers le front. Membre de la 7e brigade d’infanterie canadienne et considérée comme la troupe de choc de l’armée, le PPCLI était uniquement déployé lors des opérations d’envergure. C’est ainsi que Dinning se retrouve au front alors que se prépare une offensive de grande envergure. Les troupes du PPCLI ont donc la lourde tâche de trancher le cours de la dure bataille à venir.

Déploiement des troupes pour la bataille d’Ancre Heights en 1916 (source : Imperial War Museums).

L’assaut de la Battle of Ancre Heights (Bataille de la hauteur de l’Ancre) s’inscrit dans le cadre de l’offensive de la Somme. Ancre Heights est prévue le 1er octobre à 15h15. L’objectif est de prendre la Tranchée Régina afin de créer une percée dans les lignes allemandes établies à quelques centaines de mètres du village de Courcelette. Les opérations tenues entre le 1er et le 7 octobre ont cependant été marquées par les échecs et des pertes élevées. En effet, les fortes pluies et l’efficacité de l’artillerie allemande ont stoppé l’avancée des troupes canadiennes, françaises et britanniques.

Le 8 octobre, une nouvelle offensive est lancée à 4h50 par une matinée froide et pluvieuse. L’attaque mobilise 1 100 soldats canadiens, dont la réserve du PCCLI à laquelle Dinning était vraisemblablement attitré. L’attaque de la 7e brigade d’infanterie canadienne et du PCCLI est un véritable désastre. Les bombardements canadiens manquent complètement leurs cibles et les lignes allemandes sont intactes. Seules la 3e et la 4e brigade réussissent à passer les lignes allemandes à l’est, avant d’être rapidement refoulées. La journée même, la mention wounded in action est inscrite au dossier d’Harry H. Dinning, remplacé par la suite pour wounded and missing. Au mois d’août 1917, William Henry Dinning, père de Harry, reçoit 94.26$  (environ 1 800$ en valeur actuelle) en compensation pour la perte de son fils officiellement reconnu mort par l’armée canadienne.

Vue du village de Courcelette, position acquise par l’armée britannique en septembre 1916. Les restes de ce village ont servi de repère logistique pour Bataille d’Ancre Heights (source : Encyclopédie Canadienne).
Bataille de Ancre Heights, les mouvements du 8 octobre 1916 (source : War Diary of the 18e Battalion CEF).

Commémoration et deuil à Maple Grove

Dans le journal Le Canadien de Thetford Mines daté du 9 novembre 1916, on pouvait lire des messages de sympathie adressés à la famille Dinning pour la disparition d’Harry. Les conditions de combat difficiles, les nombreuses disparitions et la hausse considérable des décès ont notamment contribué à la baisse des enrôlements à partir de 1916.

La mémoire de ces braves combattants doit être commémorée. En ce qui concerne Harry H. Dinning, les traces de son sacrifice sont toujours visibles dans l’église anglicane de Maple Grove. Située sur le site patrimonial Holy Trinity, fondé par les pionniers anglo-protestants au début du XIXe siècle, l’église anglicane contient une chaire et un vitrail qui rendent hommage au jeune soldat. Ainsi, il convient de se pencher sur les causes de ces manifestations en explorant, dans cette dernière section, pourquoi cette famille est si importante dans le canton d’Irlande.

En-dessous : Ce vitrail, tout comme la chaire, est un don de la famille Dinning. En l’honneur de leur neveu, les tantes d’Harry H. Dinning on fait inscrire dans le bas du vitrail : « To the glory of God and in the memory of Harry H. Dinning, who was serving with the C.E.F in France and reported missing on October 8, 1916. In the light shall we see light. This window was erected by his aunts » (source : Verte Irlande).

La chaire est offerte par les sœurs de la famille Dinning pour commémorer la mort de deux de leurs frères. On peut y lire : « In memory of Williard J. Dinning. Died, April 1916. et Harry H. Dinning. Killed in France, Oct – 1916 » (source : Verte Irlande).

La mémoire des Dinning dans le canton d’Irlande, entre mythe et réalité

De nombreux éléments mémoriaux attestent du passage de la famille Dinning dans le canton d’Irlande. Dans un article paru en 2000, l’historien amateur Rénald Turcotte date l’arrivée de la famille Dinning vers 1850, alors que George s’établit à Maple Grove. Cette branche de la famille Dinning serait liée à Henry Dinning de Québec, richissime homme d’affaires. Or, cette affirmation se base uniquement sur le fait qu’un ancêtre des Dinning d’Irlande est nommé H. Dinning dans le livre Annals of Megantic, ouvrage de référence phare l’histoire du Comté de Mégantic, paru en 1900. C’est donc en comparant les dates de naissance de George et d’Henry, 1827 et 1830, ainsi qu’en spécifiant que tous deux sont originaires de Québec, que Rénald Turcotte a soulevé la possibilité qu’ils soient frères. Malheureusement, les archives qui auraient pu nous éclairer sur cette situation ont brûlé lors de l’incendie du Bureau d’Enregistrement d’Inverness, chef-lieu de comté, le 8 décembre 1889. Nous savons néanmoins que George marie Margaret Humphrey le 29 avril 1850 à la cathédrale Holy Trinity de Québec. William, père d’Henry Humphrey, est né de cette union en 1853.

C’est également dans l’art et l’architecture de l’église anglicane de Maple Grove que l’on constate les legs de la famille Dinning. À la construction de la seconde église du canton en 1900, l’entrepreneur Thomas R. Porter monte la voûte grâce à une structure reprenant les formes d’une cale de navire inversée. Plusieurs passionnés d’histoire décèlent un lien avec le chantier naval tenu par Harry Dinning dans la seconde moitié du XIXe siècle. Tout de même, plusieurs vitraux de l’église sont des dons de la famille.

Série de trois vitraux pour commémorer la mort de Georges Dinning en 1902. Ils furent probablement installés dès la construction de l’Église en 1900, preuve de la grande richesse de la famille Dinning (source : Verte Irlande).
Dans les années 1950, la famille Dinning toujours implantée dans le noyau villageois de Maple Grove. Le don de ce vitrail en 1954 témoigne de leur présence. Or, ils figurent parmi les derniers habitants anglophones de la région, les années 1950 et 1980 étant marquées par les deux dernières vagues d’exode anglophone hors de la région (source : Verte Irlande).

Cette charité de la famille Dinning témoigne néanmoins de leur statut socio-économique notable. Dans cette optique, on présente George comme commerçant de bois important, potentiel contributeur du chantier naval de son frère Harry à Québec. On sait cependant avec certitude qu’il devient l’un des plus grands commerçants d’animaux de la région. Il faut également dénoter les nombreuses propriétés terriennes de George Dinning, spéculateur foncier. Les liens entre ces familles marchandes de Québec et d’Irlande restent ainsi flous, mais plausibles considérant la position de notabilité de George dès son arrivée à Maple Grove vers 1850.

Malgré tout, nous savons qu’Harry H Dinning, fils de William et de Florence Nightingale Ward, est baptisé le 4 avril 1890 à la première église Church of England d’Irlande. Il fait ses études primaires à Maple Grove avant d’entreprendre un parcours au collège Bishop de Lennoxville. Poursuivant ses études en droit à l’université McGill, il devient avocat avant de déménager chez sa tante Elizabeth Dinning Nobel à Calgary. C’est là, en 1916, qu’il rejoindra les Canadian Expeditionary Forces pour le dernier voyage de sa vie. Harry H. Dinning est l’un des quatre soldats dont le service militaire rendu durant la Première Guerre mondiale est remémoré dans le livre d’histoire de la municipalité paru en 2006. En ce sens, on y retrouve les noms de George Russel (home boy) killed in action, Archibald Merril Simons, survivant, et Quincy Henry Cross wounded in action.

Photo couverture : Photo portrait d’Harry H. Dinning (source : Municipalité d’Irlande).

Article rédigé par Pierre-Gabriel Gosselin, candidat à la maîtrise en histoire à l’Université Sherbrooke, pour Je Me Souviens.

Sources :

Pour consulter des documents d’archive de Harry H. Dinning, vous pouvez visiter le site internet de la Bibliothèque et Archives Canada :

Pour une approche plus académique :

  • Wilfrid Grimar, Municipalité d’Irlande : 200 ans d’histoire – Municipality of Ireland : 200 years of history, Irlande, Municipalité d’Irlande, 2006, 264 p.
  • Jean-Pierre Kesteman, Diane Saint-Pierre et Peter Southam, Histoire des Cantons de l’Est, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1998, 829 p.