Lorsque nous parlons de la Première Guerre mondiale (1914-1918), nous avons habituellement la vision de longues batailles difficiles et meurtrières dans les tranchées d’Europe. C’est aussi les débuts d’une grande modification sur la façon que l’on mène les guerres : maintenant plus centré sur les armements et sur les mouvements rapides des troupes. Dans cette vision de la Première Guerre mondiale, la guerre est aussi fondamentalement européenne et ignore ironiquement les autres fronts – en l’occurrence, les fronts africains et asiatiques. Avant de sauter sur un deuxième article traitant de la Première Guerre mondiale en Afrique, rédigé par mon collègue Thomas Vennes, nous vous proposons d’abord de faire un bref survol sur la façon dont cette guerre se déroula en Asie.
L’Asie est un territoire extrêmement vaste et il nous serait impossible de synthétiser tous les faits militaires de cette époque sur l’ensemble du continent dans ce petit article. Nous vous proposons ainsi d’explorer la Première Guerre asiatique selon deux thèmes distincts couvrant la majorité du continent : la guerre contre les colonies allemandes et la participation de l’Inde au conflit.
La guerre contre les colonies allemandes
Avant la guerre, l’Allemagne détenait plusieurs colonies : la ville de Qingdao en Chine et plusieurs îles dans le Pacifique, par exemple. Au même moment, l’Empire du Japon était aussi allié des Britanniques et les deux se partageaient les eaux asiatiques. Le Japon fut ainsi très rapide à s’engager au conflit, profitant de la situation pour grossir son empire. En 1914, il envoya sa marine contrer la marine allemande et s’empara de presque toutes ses colonies dans le Pacifique. La même année, il envoya aussi ses troupes à Qingdao et réussit à saisir la colonie après un siège de plusieurs mois.
En 1915, enorgueilli par ses avancées territoriales, le Japon impose à la Chine ses 21 demandes. Depuis le 19e siècle, la Chine est extrêmement affaiblie et la majorité de son territoire est occupée par des puissances étrangères. Refusant de s’impliquer dans un conflit qui n’était pas le sien, la Chine décida donc de rester neutre. Cependant, le Japon avait des visées territoriales en Chine depuis longtemps et profita de l’annexion de Qingdao pour étendre son influence sur le reste du pays. Les 21 demandes du Japon face au gouvernement chinois étaient hautement déraisonnables et réduiraient formellement la Chine comme un protectorat japonais. Pour la population chinoise, ces demandes étaient un affront complet pour l’honneur national, mais le pays étant extrêmement affaibli, très peu de choses pouvaient être faites. Après des négociations ardues, le Japon proposa finalement une liste révisée de 13 demandes. Sans quoi elle risquerait une guerre qu’elle savait perdue d’avance, la Chine n’eut pas le choix que de les accepter.
Ce n’est pas simplement le Japon qui fit pression sur la Chine. En 1916, les nations européennes recrutèrent beaucoup de travailleurs chinois pour participer à l’effort de guerre, malgré la neutralité affichée de la Chine. Attirés par un salaire, plus d’une centaine de milliers de Chinois s’engagèrent comme travailleurs et furent envoyés au Canada et en Europe pour participer dans les industries. Travaillant dans des conditions extrêmement difficiles, plusieurs de ces personnes décédèrent en terre étrangère. Par exemple, en 1917, la marine allemande coule le SS Athos qui transportait alors plus de 900 travailleurs chinois. Plus de la moitié d’entre eux périrent et en conséquence, la Chine cessa sa neutralité et déclara la guerre à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie. Ainsi, les concessions de ces dernières dans la ville de Tianjin et de Hankou furent rapidement capturées par les troupes chinoises. Avec ces prises et avec la participation de milliers de travailleurs, la Chine espérait ainsi pouvoir montrer à ses nouveaux alliés qu’il était un participant important de la guerre. Nous y reviendrons.
En 1917, le Siam (aujourd’hui la Thaïlande) déclara aussi la guerre à l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie. En capturant des navires allemands et en envoyant des troupes en Europe, le Siam prouva sa valeur militaire aux yeux des nations européennes. Il fut ainsi l’une des seules nations asiatiques à avoir un siège à la conférence de Paris et à recevoir diverses récompenses pour sa participation militaire.
La participation de l’Inde
Étant une colonie britannique à l’époque, l’Inde fut immédiatement enrôlée pour participer à la guerre. La participation indienne se fit ainsi largement dans le cadre de l’armée britannique et plusieurs milliers d’hommes furent envoyés sur plusieurs fronts : en Europe, en Afrique de l’Est, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. À cet effet, c’est presque 1,8 million de soldats indiens qui furent mobilisés durant tout le conflit.
Les premières forces expéditionnaires indiennes partirent en mission dès 1914. En France, plus de 130 000 soldats indiens participèrent aux combats. Des divisions de cavalerie indienne (qui se mobilisaient parfois en tant qu’infanterie selon les besoins) participèrent ainsi à plusieurs batailles importantes. Dans les régions irakiennes, les forces indiennes avaient comme mission de protéger les puits de pétrole. La guerre resta très difficile là-bas, cependant, et plusieurs batailles furent menées contre l’Empire ottoman. Un peu plus loin, une force expéditionnaire participa aussi à la meurtrière campagne de Gallipoli (1915-1916). Là-bas, les forces indiennes subirent de lourdes pertes.
Pour les Indiens, la guerre n’était pas seulement le fait d’envoyer des forces expéditionnaires, mais aussi de protéger les frontières coloniales. Par exemple, via l’Afghanistan, l’Empire ottoman (allié avec les Allemands) menaçait directement l’Inde britannique. De plus, plusieurs tribus musulmanes profitèrent de la guerre pour se rebeller contre l’administration coloniale. L’armée indienne fut ainsi mobilisée de sorte à sécuriser le territoire. Plusieurs raids punitifs furent ainsi menés contre différentes tribus dans le nord-est : celles de Khost (1914-1915), de Mohmands (1915, 1916 et 1917), de Bunerwals (1915), de Swatis (1915), de Mahsud (1917), de Marri (1918) et de Khetran (1918).
Un nouvel héritage historique
Comme mentionné plus haut, plusieurs de ces nations n’ont pas reçu les récompenses qu’ils espéraient pour leur participation à la guerre. Durant la conférence de la paix de Paris en 1919, le Japon put garder les territoires annexés, mais sa demande d’équité raciale envers les nations occidentales fut refusée. Quant à la Chine, toutes ses demandes de rétrocession de territoires furent refusées par les Occidentaux qui préfèrent favoriser le Japon. Cela occasionne d’importants mouvements de protestations dans toutes les villes chinoises – communément appelé le mouvement du 4 mai. Finalement, étant une colonie britannique, n’eut droit à aucune compensation substantielle pour sa participation importante durant la guerre.
Malgré la participation de plusieurs nations asiatiques et de plusieurs centaines de milliers de soldats et travailleurs, cela prit beaucoup de temps avant que l’histoire leur rendit justice. Ce n’est que récemment que les historiens commencèrent à s’attarder sur ces différents aspects de la Première Guerre mondiale. Cependant, énormément de travail reste encore à faire.
Photo de couverture : Des soldats japonais se préparent à avancer durant le siège de Qingdao, 1914 (source : Wiki Commons).
Article rédigé par Julien Lehoux pour Je Me Souviens. Cet article est la première partie d’une série de deux articles sur la Première Guerre mondiale extra-européenne. Pour lire la deuxième partie sur les différents fronts conduits en Afrique subsaharienne, vous pouvez cliquer sur le lien ici.
Sources :
- « Indian Expeditionary Force », International Encyclopedia of the First World War (en anglais).
- « The forgotten army of the first world war: How Chinese labourers helped shape Europe », South Morning China Post (en anglais).
- « The Surprisingly Important Role China Played in WWI », The Smithsonian Magazine (en anglais).
- « Why the Indian soldiers of WW1 were forgotten », BBC News (en anglais).
Pour une approche plus académique :
- Shinji Asada, « The Siege of Qingdao: Mobilization and war experiences in a German leasehold in China during World War I », Presses universitaires de Rennes, vol. 1, no. 9, 2016, pp. 75-91 (en anglais).