La Première Guerre mondiale en Afrique subsaharienne (1914-1918)

D’importants combats furent livrés en Afrique subsaharienne durant la Première Guerre mondiale. Deuxième partie de notre série de deux articles sur la guerre extra-européenne, nous vous présentons un résumé des différents fronts militaires menés en Afrique.

Bien que loin des champs de bataille en Europe, le continent africain subit les effets de la Première Guerre mondiale. Quasi totalement colonisée depuis la fin du 19e siècle, L’Afrique est autant un champ de bataille du conflit, avec en particulier la conquête des colonies allemandes, qu’un espace où les empires extirpent ressources matérielles et humaines pour l’effort de guerre. Face à ces nouvelles pressions accrues, certaines populations africaines trouvent des moyens pour résister à ces demandes. D’autres vont plutôt y voir une chance de prouver sa loyauté envers l’empire afin de gagner des droits. Il va sans dire que l’expérience de ce conflit mondial en Afrique est d’une intense variabilité de région en région et d’année en année.

Les combats

Les colonies du Togoland, du Cameroun et du Sud-ouest africain allemand sont conquises relativement rapidement et sans confrontation de très grande envergure. La colonie du Togoland tombe la première, après la tentative de son gouverneur de maintenir la neutralité en arguant que de montrer aux populations africaines des hommes blancs se battant serait préjudiciable à l’ordre colonial. Les troupes allemandes au Cameroun vont quant à elles résister 15 mois face à une coalition française, britannique et belge. Le Sud-ouest africain allemand est ainsi conquis par l’armée d’Afrique du Sud en 6 mois.

Si ces colonies tombent avec une relative aisance en raison de leur garnison faible, les troupes allemandes en Afrique Oriental sous le commandement du général Paul von Lettow Vorbeck combattent jusqu’en 1918. Ils se rendent même trois jours après la signature de l’armistice le 11 novembre 1918. Longtemps adulé comme un génie tactique et un grand général, von Lettow Vorbeck va mener une guerre de guérilla avec des conséquences brutales et dévastatrices pour les populations locales. Ayant comme objectif de distraire les Britanniques et de les obliger à mobiliser des troupes en Afrique, Lettow Vorbeck et ses 10 000 askaris (troupes coloniales noires allemandes) s’enfoncent dans les confins de la brousse africaine, pillant les villages et recrutant de force les populations en tant que porteur. Avec leurs propres troupes coloniales, les Britanniques, les Portugais et les Belges qui partent à leur poursuite font de même. Du côté des Britanniques seulement, on estime jusqu’à 1 000 000 d’africains qui vont être engagés de force en tant que porteurs pendant la campagne.

Carte de l’Afrique avant la Première Guerre mondiale (1913) (source : Wiki Commons).

Il est difficile de savoir combien de porteurs et de membres de leur famille meurent pendant ce service forcé. Les chiffres oscillent autour de 350 000 du côté allemand, et probablement autant du côté des alliées, bien que les chiffres des autorités britanniques citent 95 000 décès. Les conséquences économiques dues à la destruction de la campagne et de la production agricole, au recrutement forcé et aux pillages systématiques sont incalculables. Il est estimé que 300 000 civils périssent en raison de cette spoliation économique.

Source : ANOM, Fond Affaire politique, 1 AFFPOL 2762, Édouard Picanon, « Rapports d’ensemble sur le recrutement », Dakar, 27 novembre 1918, p. 87.

  • Zone révoltée entre le 19 novembre 1915, date de l’échec de Bouna et le 21 décembre, début des opérations de Yankasso.
  • Zone révoltée entre l’échec de Yankasso, le 23 décembre et le départ de la colonne Molard le 13 février 1916.
  • Zone révoltée après le 13 février, date à laquelle commencent les opérations de la colonne Molard.
Carte des zones révoltées du Bani-Volta.

Les résistances armées

Ailleurs sur le continent, les combats sont entre des mouvements anticoloniaux et leurs empires respectifs. Ces soulèvements ont des causes multiples et variables. L’exode des administrateurs blancs partout dans les colonies européennes, rappeler pour leur service militaire en Europe, participe à créer une impression de faiblesse des États coloniaux. À cela s’ajoute l’accroissement constant des demandes de ces États envers les populations. Déjà généralement mal reçu par les populations colonisées, la guerre engendre une grande demande en hommes – tant pour le travail que l’armée – et en matière première. Par exemple, la France recrute jusqu’à 190 000 soldats noirs africains pour les mobiliser sur de nombreux fronts en Europe et au Moyen-Orient. Un autre exemple de mobilisation massive est les porteurs précédemment mentionnés. L’impôt, concept parfois étranger pour certaines communautés et qui les forçait à s’intégrer à l’économie monétaire qui leur était défavorable, est également à considérer. Des sympathies politiques avec les Ottomans et les Allemands de certaines populations sont également à prendre en compte. Dans la totalité des cas, la répression des États coloniaux est brutale et sans concession. Déjà immensément éprouvé par la guerre en Europe, les Empires coloniaux ne pouvaient tolérer quelconque perturbation dans ses arrières.

La Force publique, armée coloniale belge en Afrique, dans la campagne de 1916-1917 dans l'Est africain. Par Auteur inconnu (source : Wiki Commons).

Ainsi, des révoltes éclatent en Afrique du Sud en 1914, où des Afrikaners se rallient à la cause allemande en réaction à l’appui de leur gouvernement aux alliés. Des soulèvements islamiques, parfois incités par l’appel au Djihad de l’Empire ottoman, se font entendre partout dans le Sahel tout au long de la guerre. Des mouvements millénaristes et apocalyptiques, notamment le mouvement de la Watch Tower en Rhodésie, sont aussi de ceux qui participent à déstabiliser l’ordre colonial en Afrique. Dans l’actuel Burkina Faso, une coalition villageoise se révolte contre l’empire français en novembre 1915 pendant plus de 9 mois. 30 000 résistants anticoloniaux trouvent la mort. La cause : le recrutement ! En effet, la France républicaine se décide, au début de la guerre, à faire participer leurs troupes coloniales dans l’effort de guerre en Europe, pratique que rechignent à la fois les Britanniques et les Allemands. De fait, ils ne sont pas friands de voir des hommes de couleur combattre des hommes blancs sur le front. Le recrutement s’appuie toutefois sur la coercition, prenant des allures de chasse à l’homme dont leur nature ne pouvait que rappeler les méthodes esclavagistes. Les populations résistent également à ces pressions en fuyant devant l’arrivée des recruteurs, en présentant les hommes les plus âgés et les plus faibles, ou encore en migrant massivement vers des colonies britanniques où il est cru qu’il n’y a pas de recrutement.

L’association

Si de nombreux africains empruntent la route de la résistance, d’autres verront la guerre comme une opportunité de se prouver à leur empire respectif pour gagner davantage de droits et de pouvoirs dans l’espace politique et administratif colonial. Dans la plupart des cas, ces espoirs sont déçus. À titre d’exemple, le député Blaise Diagne, premier homme noir à siéger au Parlement français, est promis des réformes sociale et politique au Sénégal en échange d’une campagne de recrutement de tirailleurs après la révolte au Burkina Faso. Mission accomplie, Diagne réussit même à rallier plus d’hommes que demandé : 63 000 au lieu de 40 000. Mais les promesses ne sont jamais réalisées. Même ton avec les hommes recrutés dans l’armée coloniale : on leur promettait davantage de droits, voire même la citoyenneté, s’ils s’engageaient et payaient l’« impôt du sang ». Encore une fois, la promesse n’est pas remplie.

Néanmoins, la Première Guerre participe à donner naissance à des mouvements nationalistes et de contestations politiques partout sur le continent. Des élites africaines frustrées des fausses promesses se mobiliseront davantage devant les incohérences et les contradictions des régimes coloniaux. Ils établissent les premières bases pour les décolonisations des décennies à suivre.

Photo portrait de Blaise Diagne prise en 1921 (source : Wiki Commons).
Blaise Diagne, député du Sénégal, haut-commissaire du gouvernement pour le recrutement des troupes noires, arrive à Dakar en mars 1918 (source : Wiki Commons).

Photo de couverture : La bataille de Ngomano en novembre 1917, par Auteur inconnu (source : Wiki Commons).

Article rédigé par Thomas Vennes, candidat au doctorat en histoire à l’Université Sherbrooke, pour Je Me Souviens. Cet article est la deuxième partie d’une série de deux articles sur la Première Guerre mondiale extra-européenne. Pour lire la première partie sur les différents fronts conduits en Asie de l’est et du sud, vous pouvez cliquer sur le lien ici.

Sources :

Pour une approche plus académique :

  • Michael Crowder, « La Première Guerre mondiale et ses conséquences », Albert Adu Boahen (dir.), Histoire générale de l’Afrique. L’Afrique sous domination coloniale, 1880 – 1935. vol. 7, Paris, Unesco/NEA, 1987, p. 307‑337.
  • Richard Standish Fogarty, Race and War in France: Colonial Subjects in the French Army, 1914-1918, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2008, 374 p. (en anglais).
  • Jacques Frémeaux, Les Colonies dans la Grande Guerre: combats et épreuves des peuples d’outre-Mer, Soteca, 14-18 Éditions, 2006, 393 p.
  • Marc Michel, L’Afrique dans l’engrenage de la Grande Guerre, 1914-1918, Paris, Karthala, 2013, 237 p.
  • Bill Nasson, « L’Afrique », Jay Winter (dir.), La Première Guerre Mondiale : Combats, Paris, Fayard, 2014, pp. 475‑501.
  • Edward Paice, Tip and run: the untold tragedy of the Great War in Africa, Londres, Weidenfeld & Nicolson, 2007, 488 p. (en anglais).