C’est en 1845 qu’est célébrée pour la première fois au Canada-Uni la Fête de la Reine (Victoria Day en anglais). La date choisie étant l’anniversaire de la reine Victoria, soit le 24 mai. Traditionnellement, comme c’est encore le cas au Royaume-Uni avec l’événement Trooping the colour, l’anniversaire d’un monarque est jour de parade militaire. Toutefois, au Canada-Unis, cette journée deviendra rapidement un congé civil. Peu de défilés ont lieu en sol canadien, mais la journée marque le début de l’entraînement annuel obligatoire des milices locales.
Le contexte socio-historique des francophones variant de celui des anglophones, les Canadiens français n’ont jamais réellement fêté la reine. À partir des années 1920, ces derniers vont officieusement la renommer la journée de la Fête de Dollard en l’honneur d’Adam Dollard des Ormeaux, héros de la légende de la bataille de Long-Sault de 1660.
Suite à la Révolution tranquille, les québécois redécouvrent l’histoire des rébellions de 1837 et 1838 et on commence graduellement à associer le nom de Jean-Olivier Chénier (chef patriote de la bataille de Saint-Eustache) à celui de Dollard des Ormeaux pour le férié du mois de mai. C’est en 2002 que le gouvernement québécois adopte le lundi précédent le 25 mai comme Journée nationale des Patriotes.
Les rébellions de 1837-1838
Pourquoi la journée des patriotes? À l’époque du changement, le gouvernement avait mis de l’avant l’importance de la lutte des insurgés. Bien que la Journée nationale des Patriotes existe seulement sous cette appellation au Québec, les rébellions de 1837 à 1838 ont eu lieu autant dans le Haut que le Bas-Canada, soit l’Ontario et le Québec actuels. Bien que les rébellions eurent lieu dans les deux colonies, les demandes et revendications ne sont pas toutes les mêmes.
Les patriotes du Haut-Canada, menés, entre autres, par William Lyon Mackenzie (premier maire de York, aujourd’hui Toronto), vont lutter principalement pour un changement sur l’allocation des terres, ainsi que pour l’obtention d’un gouvernement responsable. Suite à la prise de l’armurerie de Toronto par les patriotes, ils subirent trois défaites face à l’armée britannique. Beaucoup plus court et désorganisé, le conflit dans le Haut-Canada se solda par la fuite de plus de 200 hommes vers les États-Unis, et bien que cette insurrection n’eut pas l’impact des rébellions du Bas-Canada ou de l’indépendance états-unienne, il fut impossible pour la Couronne d’ignorer le soulèvement.
En 1834, la chambre d’Assemblée du Bas-Canada adopte les 92 résolutions. Ces résolutions sont principalement des demandes et des griefs sur le système politique de la colonie, car peu de pouvoirs sont accordés aux élus. Le conseil législatif était nommé par le gouverneur et non choisi dans le bassin de députés élus. Le gouvernement britannique débat des résolutions à Londres, mais celles-ci sont peu populaires. En réponse aux revendications, les dix résolutions de Lord Russell (ministre au parlement britannique) sont adoptées en 1837 par le parlement britannique qui rejette en bloc les doléances du Parti Patriote de Papineau.
Bien que les tensions politiques soient une cause du conflit, elles n’en sont pas l’unique raison. Le contrôle des terres par la Couronne, l’arrivée des loyalistes suivant l’indépendance américaine, des gouverneurs francophobes, un besoin d’affranchissement par les Canadiens français font aussi partie des nombreuses causes de l’insurrection. La contention était telle qu’à l’automne 1837, la majeure partie des troupes britanniques du Haut-Canada est repositionnée dans le Bas-Canada.
Partout dans le Bas-Canada chacun choisit son camp. Des associations paramilitaires comme le Doric Club (loyaliste) et les Fils de la liberté (patriotes) auront des escarmouches au cours de l’automne 1837, avant même que les combats militaires éclatent. Le clergé, géré par Monseigneur Lartigue, se positionne avec les autorités britanniques. Cependant, de nombreux curés de campagne, près de leurs ouailles, soutiennent la cause patriote.
Le 23 novembre 1837 eut lieu la première bataille de l’armée britannique, menée par le lieutenant-colonel Gore contre les patriotes, ces derniers, commandés par le docteur Wolfred Nelson. Ce combat opposa 300 militaires britanniques contre 200 patriotes assiégés. La bataille du village de Saint-Denis-sur-le-Richelieu commence tôt le matin et se termine vers 15h. Le repli de l’armée est donné par le lieutenant-colonel Gore alors que des renforts patriotes commencent à arriver des villages voisins. Cette bataille est la seule victoire que les patriotes remporteront durant le reste du conflit. Une douzaine de personnes seront tuées de part et d’autre.
Le village de Saint-Charles-sur-le Richelieu fut le théâtre de la seconde bataille, soit deux jours après celle de Saint-Denis. Environ 250 patriotes installèrent des barricades autour du manoir seigneurial afin de préparer la bataille. Plusieurs habitants, incluant des femmes, des enfants et des personnes âgés participent à la préparation. Le Colonel Wetherall et ses 450 soldats attaquèrent le village en laissant derrière eux un bain de sang: une trentaine d’hommes du côté des troupes britanniques contre plus de 150 patriotes y perdirent la vie. Suite à cette affaire, de nombreux chefs patriotes et des centaines d’insurgés quitteront la colonie vers les États-Unis. D’autres seront arrêtés et emmenés à la prison du Pied-du-Courant.
Le 13 décembre 1837, le général Colborne et les troupes britanniques quittent Montréal en direction du village de Saint-Eustache, dans le comté de Deux-Montagnes. Le lendemain, à l’arrivée des 1500 hommes, le tocsin est sonné par les patriotes pour en avertir le village. Environ 200 patriotes, sous la direction Jean-Olivier Chénier, vont à la rencontre de l’armée avant d’être accueillis par des salves de tir. Se repliant vers le village, les patriotes se réfugient principalement dans l’église, puis le couvent, le presbytère, ainsi que dans les maisons avoisinantes. Vers midi, le village est encerclé par les troupes britanniques qui tirent des boulets de canon vers les édifices servant d’abris aux patriotes. À ce jour, l’église porte encore les marques des boulets de canon.
Les bâtiments tenant le coup, Colborne ordonna à ses hommes de défoncer les portes. Toutefois, les militaires durent se replier, car les patriotes faisaient feu et en bloquaient l’accès. Graduellement des troupes de soldats réussirent à pénétrer dans les édifices pour y mettre le feu. Le presbytère fut le premier à être incendié, suivi du manoir et du couvent, avant de terminer par l’église. Les patriotes pris au piège se retrouvèrent forcés de sauter par les fenêtres sous les salves de tirs britanniques. Plusieurs tombèrent sous les balles, dont Chénier, lui-même atteint de deux balles à la poitrine. Vers 16h30, le village était en flammes. Environ 65 maisons furent pillées avant d’être détruites par les incendies allumés par les soldats britanniques et les loyalistes.
Suivant la défaite de 1837, de nombreux patriotes se réfugièrent aux États-Unis. C’est de là qu’ils planifieront diverses tentatives d’invasion et élaboreront la stratégie de certaines batailles. Finalement, cette deuxième insurrection, celle de 1838, se soldera par un échec. En effet, la première tentative d’invasion est arrêtée par les patrouilles frontalières américaines sous le bris de neutralité choisi par le jeune pays, et la deuxième par l’armée britannique. Lors des batailles suivantes, soient celles de Beauharnois, Lacolle et Odeltown, le clan patriote subira défaite sur défaite.
Suite aux rébellions de 1837-1838, des patriotes furent emprisonnés à la prison du Pied-du-Courant, certains seront condamnés à l’exil en Australie et aux Bermudes, alors que douze d’entre eux seront exécutés par pendaison. En 1838, le parlement britannique envoie Lord Durham avec le mandat d’enquêter sur les causes des rébellions et les mécontentements des colons. Il termine son rapport en 1839, divisé en trois sections : le Haut-Canada, le Bas-Canada et la réduction de l’autonomie des Canadiens français.
Selon Durham, le peuple canadien-français était sans histoire, sans culture, sans littérature et il était directement responsable des insurrections. À son avis, il fallait unir les deux parties du Canada pour noyer ce qu’il qualifiait de peuple inférieur dans une mer de sujets britanniques anglophones.
L’acte d’Union de 1840 unifie les deux provinces dans cette optique, mais l’assimilation des francophones ne se fera pas. Les Canadiens français répliquent, entre autres, par la Revanche des berceaux. Cette tactique, poussée par le clergé catholique, commencera vers 1755 au début de la Déportation des Acadiens et se poursuivra jusque dans les années 1960. Le principe veut que, pour contrer l’assimilation et l’augmentation massive de colons anglophones, les Canadiens français aient un taux de natalité plus élevé.
Conclusion
La Journée nationale des patriotes fut mise en place par le gouvernement de Bernard Landry afin de souligner l’importance de ce conflit militaire et de ses impacts sur la société québécoise et canadienne. Bien que la majorité des batailles aient été des défaites pour les patriotes, les influences de leur lutte nous laissent pourtant un héritage considérable, comprenant, entre autres :
- L’obtention d’un gouvernement responsable en 1848
- L’adoption du français et de l’anglais comme langues officielles de la confédération canadienne
- La création d’une province francophone lors de la naissance de la confédération canadienne
- Une hausse du taux de natalité chez les francophones poussée par le clergé catholique qui perdura jusque dans les années 1960
- Le bataillon Mackenzie-Papineau
- De nombreux monuments, dont un à la prison du Pied-du-Courant à Montréal.
- La chanson Un canadien errant en 1842 par Antoine Gérin-Lajoie (reprise par Leonard Cohen en 1979)
- La chanson Chant d’un patriote par Félix Leclerc, parue en 1975
- Le roman Famille-sans-nom de Jules Verne, paru en 1888
- Le roman Enfants de la rébellion de Suzanne Julien, paru en 1988
- Le roman Nuits rouges de Daniel Mativat, paru en 2008
- Le film Les maudits sauvages de Jean Pierre Lefebvre, sorti en 1971
- Le film Quelques arpents de neige de Denis Héroux, sorti en 1972
- Le film Quand je serai parti… vous vivrez encore de Michel Brault, sorti en 1999
- Le film 15 février 1839 de Pierre Falardeau, sorti en 2001
- Plusieurs autres œuvres et événements, dont la Journée nationale des Patriotes!
Article écrit par Alexandrine Bleau-Quintal pour Je Me Souviens.
Sources :
Un certain nombre de livres a été écrit concernant la rébellion des patriotes. Nous vous laissons ainsi une sélection plus bas :
- Jean-François Cardin, Claudine Couture et Gratien Allaire, Histoire du Canada. Espace et différences, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1996, 400 p.
- Jean-Pierre Charland, Histoire du Canada contemporain : de 1850 à nos jours, Québec, Septentrion, 2015, 344 p.
- Jacques Lacoursière, Histoire populaire du Québec, tome II : De 1791 à 1841, Québec, Septentrion, 2013, 648 p.
- Gilles Laporte, Brève histoire des Patriotes, Québec, Septentrion, 2015, 200 p.
- Paul-André Linteau, René Durocher et Jean-Claude Robert, Histoire du Québec contemporain, tome I : De la Confédération à la crise (1867-1929), Montréal, Boréal, 1989, 758 p.
Plusieurs sites internet ont aussi beaucoup d’informations très complète sur la rébellion et le jour des patriotes :
- « Bibliographie sur les insurrections de 1837-1838 au Bas-Canada », Wikipédia.
- « Définition de Gouvernement responsable », Assemblée nationale du Québec.
- « Fête de la Reine, de Dollard ou des Patriotes? », Accès.
- « Fête de la reine ou de Dollard des Ormeaux », Réseau de diffusion des Archives du Québec.
- « Fête de Victoria », L’encyclopédie canadienne/The Canadian Encyclopedia.
- « Les 19 résolutions », L’encyclopédie canadienne/The Canadian Encyclopedia.
- « Liste des patriotes prisonniers, 1837-1838 et 1839-1840 », Site personnel du conteur Michel Faubert.
- « Rébellion du Haut-Canada », L’encyclopédie canadienne/The Canadian Encyclopedia.
- « Un Canadien errant », L’encyclopédie canadienne/The Canadian Encyclopedia.
- « What is Trooping the Colour? », Royal UK (en anglais).