Le 7 novembre 2017, le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, présente des excuses officielles pour les réfugiés juifs qui avaient été refusés au Canada quelques mois avant le début de la Deuxième Guerre mondiale. Cet article, rédigé par l’historienne Rosalie Racine, revient sur la situation canadienne juive particulière, et le rôle de l’antisémitisme, dans un contexte de la montée du nazisme et durant la Deuxième Guerre mondiale.
Quand on pense aux années 1930-1940, ce sont les événements européens qui nous viennent d’abord à l’esprit. Cependant, la situation au Canada, n’a pas été facile non plus. En effet, le Canada a vu une montée de l’antisémitisme, donc la haine de la population juive, après la crise économique de 1929. Pour exemplifier cette montée de l’antisémitisme, nous proposons ainsi d’expliquer, dans ce court article, l’immigration juive, leur internement dans l’Est du pays et la montée du nazisme au Canada.
L’immigration juive au Canada
La politique d’immigration canadienne a toujours été sélective racialement et égoïste économiquement. La situation spécifique du début des années 1930 et les conséquences de la crise économique qui sévissaient ont réduit davantage les opportunités d’immigration. La politique sur l’immigration du gouvernement King était centrée sur un but : préserver l’unité du Canada. Mackenzie King, alors premier ministre du Canada, avait compris que de permettre à des réfugiés juifs de s’établir au Canada mettrait en péril une future réélection, tandis que la politique du gouvernement fédéral en termes d’immigration juive était caractérisée par la peur d’une montée de l’antisémitisme au Canada. Ces idées étaient partagées par une importante partie de la population canadienne. La présence des Juifs a donc été restreinte dans quelques domaines et par des quotas. Le gouvernement a, par exemple, demandé aux compagnies ferroviaires de ne pas accepter les fermiers juifs parce qu’il ne croyait pas qu’ils étaient véritablement fermiers et qu’ils s’installeraient plutôt en ville, là où les taux de chômage ne baissaient pas.
L’expérience d’immigration a également été influencée par la situation en Allemagne. Face à la montée d’Hitler au pouvoir, le Canada se replie sur lui-même, ne souhaitant pas s’impliquer dans les problèmes européens. Dès 1940, donc rapidement après le début de la Seconde Guerre mondiale, des discussions ont débuté entre le Royaume-Uni et le Canada pour que celui-ci prenne en charge les étrangers internés, les prisonniers de guerre et les enfants évacués. Le Royaume-Uni a d’abord demandé au Canada d’accueillir 9000 « ennemis étrangers » et prisonniers de guerre allemands, ce que le gouvernement canadien a rejeté d’emblée.
L’exemple le plus connu des difficultés des Juifs à immigrer au Canada est celui du Paquebot Saint-Louis, sur lequel voyageaient 907 juifs allemands qui cherchaient à fuir les persécutions nazies en 1939. Les passagers avaient d’abord été refoulés à Cuba, dans quelques pays en Amérique du Sud et aux États-Unis avant de se diriger vers Halifax, où ils se font refuser l’entrée. Finalement, le paquebot retourna en Europe.
Les camps d’internement
Lorsqu’ils arrivent au Canada, les réfugiés juifs sont divisés dans plusieurs camps à travers l’Est. L’internement, bien qu’il ait eu lieu en pays ami, est une expérience traumatisante pour beaucoup des réfugiés juifs. En effet, plusieurs d’entre eux avaient connu les camps de concentration nazis et ont eu l’impression d’être trahis par ceux qu’ils considéraient comme des alliés.
Dans les camps d’internement canadiens, le quotidien donne l’impression d’une vie urbaine. On y retrouve des écoles, des cafés et des lieux de culte, par exemple. Les organisations juives canadiennes et les groupes de charité ont donné, aux internés, l’équipement nécessaire au maintien de cette illusion de vie normale. Le sport et les arts ont aussi une place importante dans le quotidien des Juifs internés au Canada.
Étonnement, l’internement a même eu quelques retombées positives pour certains réfugiés. En effet, ceux qui souhaitaient s’établir en Amérique du Nord après la guerre avaient la possibilité d’apprendre et de parfaire leur anglais. Le camp organisait également des écoles qui donnaient une éducation académique, religieuse et technique aux détenus et réfugiés. Seulement dans le camp de Sherbrooke, on offrait sept programmes d’éducation différents. Les internés du camp de l’île Ste-Hélène, quant à eux, ont éventuellement eu l’opportunité de passer les examens d’entrée à l’université McGill afin de pouvoir entrer à l’université après leur remise en liberté.
Toutefois, dans certains autres camps au Canada, la situation est beaucoup plus difficile. En Ontario, plusieurs des réfugiés sont envoyés dans le camp de Red Rock. Parmi ceux-ci, une cinquantaine de personnes s’identifient comme Juifs. Toutefois, ce camp sert aussi principalement de centre de détention pour des Allemands pronazis. Dans ce camp, plusieurs des gardes canadiens, qui étaient des vétérans de la Grande Guerre s’étant engagés pour la Seconde Guerre mondiale, mais à qui on a refusé le service actif, offraient des récompenses et de l’argent aux détenus qui étaient prêts à leur créer ou procurer des insignes et symboles nazis. Ainsi, une petite manufacture se met en place dans le camp, où l’on pouvait passer une commande pour un emblème nazi. Les nazis perpétraient également ce qu’ils considéraient comme des « blagues pratiques ». Par exemple, lorsque les Juifs reçoivent le privilège de recevoir de la nourriture kasher lors du Yom Kippur, certains nazis qui travaillaient dans les cuisines la remplacent par du porc frit.
La montée du nazisme canadien
Les pronazis ne sont pas présents seulement dans les camps d’internement canadiens. En effet, les mouvements nazis au Canada, que différentes organisations allemandes ont aidé à mettre en place, comme la Deutscher Bund Canada (l’Alliance allemande du Canada), se concrétisent en des clubs pro-Hitler, des abonnements à de la littérature allemande ou avec de la publicité pour les événements nazis en Allemagne. L’implication du NDSAP au Canada est difficile à calculer puisque l’aide allemande venait rarement de façon monétaire, limitant de façon importante le support donné. Cependant, comme la propagande constituait une des grandes lacunes de la Deutscher Bund Canada, le gouvernement nazi fournissait une aide nécessaire à la réussite de leur mouvement.
Si le Canada anglais possédait ses propres mouvements pronazis, il n’est, nulle part, plus fort qu’au Québec. En effet, l’entre-deux-guerres, au Québec, est marqué par un renouveau du nationalisme canadien-français qui découle, entre autres, de la crise économique. Le mouvement fasciste antisémite au Québec s’est organisé autour de la personnalité et des idées d’Adrien Arcand. L’idéologie défendue par Arcand et ses chemises bleues s’est inspirée, entre autres, de l’ultranationalisme antidémocratique et raciste développé par Lionel Groulx. Leur antisémitisme prônait un retrait aux Juifs de leurs droits civils et politiques. Les chemises bleues d’Arcand se donnaient comme mission de rétablir le Québec dans la crise économique internationale qui sévissait. Rassemblées dans le Parti national social chrétien, les chemises bleues d’Arcand ont pu rejoindre un grand public grâce à un large éventail de publications à leur disposition et leurs nouvelles ont été diffusées dans des journaux à grand tirage comme Le Devoir et La Presse.
À droite : Essai de propagande antisémite rédigé par le Dr Lalanne, membre des Native Sons of Canada, basé sur une conférence prononcée le 15 septembre 1935 sous les auspices des Native Sons of Canada.
Des épreuves continues
Pour les réfugiés juifs, le Canada ne représentait qu’un point sur la carte, un pays dont les portes étaient fermées et le seraient toujours. Quand Auschwitz devint un camp d’extermination, on nomma l’endroit où les possessions des Juifs étaient entreposées « Canada ». « Canada » représentait, pour les Juifs, « une abondance de tout, hors limite et étroitement surveillée »[1].
[1] Tel que cité dans le livre de Erna Paris : Jews, An Account of Their Experience in Canada (1980), p. 58.
Photo de couverture : Adrien Arcand, chef du Parti de l’unité nationale, donne un discours durant un rassemblement au centre Paul-Sauvé en 1965 (archives BAnQ).
Article rédigé par Rosalie Racine, candidate au doctorat en histoire à l’Université de Montréal, pour Je Me Souviens. Nous tenons à remercier chaleureusement le Musée de l’Holocauste Montréal pour les images !
Sources :
- « Camp History & Information », New Brunswick Internment Camp Museum (en anglais).
- « Internement au Canada », L’encyclopédie canadienne/The Canadian Encyclopedia.
- « Réfugiés juifs de 1939 : des excuses officielles de Trudeau le 7 novembre », Radio-Canada.
Pour une approche plus académique, nous vous recommandons les livres suivants :
- Irving Abella & Harold Troper, None is too many: Canada and the Jews of Europe, 1933–1948, Toronto, Key Porter, 2000, 340 p. (en anglais).
- Jean-François Nadeau, Adrien Arcand, führer canadien, Montréal, Lux, 2010, 408 p.
- Jonathan F. Wagner, Brothers Beyond the Sea: National Socialism in Canada, Waterloo, Wilfrid Laurier University Press, [2012] 1981, 190 p. (en anglais).
- Ernest Robert Zimmermann, The Little Third Reich on Lake Superior: A History of Canadian Internment Camp R, Edmonton, University of Alberta Press, 2016, 346 p. (en anglais).
En complément, le 22 octobre 2022, Rosalie Racine était en onde à l’émission Histoire de passer le temps pour y présenter les différentes formes de l’antisémitisme au Canada durant la guerre. Pour écouter sa chronique, c’est par ici ! Avec la participation de Chloé Poitras-Raymond à l’animation, Cathie-Anne Dupuis et Eliott Boulate à la chronique et de Clément Broche à la régie.