En plein cœur du centre-ville de Montréal, à quelques pas de la station McGill, se trouve au 691 rue Cathcart le manège militaire du Régiment de Maisonneuve. Le régiment tire son nom de l’un des deux fondateurs de Montréal, Paul de Chomedey, Sieur de Maisonneuve. Cependant, pour le régiment, l’héritage de Maisonneuve va aussi plus loin. Durant les premières années de la colonie, Maisonneuve était le chef de la petite milice et veillait à protéger les Montréalistes de potentielles attaques haudenosaunes. Au fil des siècles, les armées provenant d’Europe se sont succédé, mais la présence de la milice canadienne demeura. Ainsi, en 1871, l’armée britannique quitte le Canada et laisse au jeune pays de former sa propre armée. C’est dans ce contexte qu’est fondé le 85th Battalion of Infantry, le 4 juin 1880.
À sa fondation, le bataillon était une unité de campagne et menait principalement des exercices militaires en région. Durant cette période, les réservistes du 85e se démarquèrent chez les autorités de la province et remportèrent plusieurs prix – qui sont d’ailleurs toujours exposés dans leur manège. Par contre, malgré son statut de bataillon rural, ses rencontres d’officiers se faisaient très souvent à Montréal : dans les bureaux de la mairie, dans les résidences des officiers supérieurs ou n’importe où qui pouvait convenir ! Le 85e se développa tout de même avec les années : obtenant d’abord le statut de régiment le 8 mai 1900, puis adoptant finalement son nom présent le 29 mars 1920.
Le régiment à travers les guerres mondiales
La Grande Guerre est la première épreuve de force pour le régiment. En tant que régiment de milice, sa tâche principale est de rester au pays pour le protéger en cas d’invasion ennemie – chose improbable dans le contexte. De fait, le régiment se démarque surtout via ses volontaires envoyés en Europe. Au déclenchement de la guerre, les officiers des 85th lancent une grande campagne de recrutement. En quelques jours, 250 nouveaux soldats et officiers sont mobilisés et envoyés en Europe où ils y sont incorporés dans le 22e bataillon : le futur Royal 22e régiment. À cet effet, les soldats des 85th combattent surtout en France, où ils subissent plusieurs pertes dans les tranchées. D’ici 1918, le Régiment de Maisonneuve voit ainsi 102 décès et 198 blessés parmi les 524 soldats qui ont combattu en France durant toute la guerre.
Après la guerre, le 85e vit ses activités drastiquement réduites. Évidemment, il n’était plus nécessaire de recruter autant de nouveaux soldats pour le front et, de fait, les activités de l’unité d’avant la guerre reprirent leur train régulier. À partir de 1920, maintenant devenus officiellement le Régiment de Maisonneuve, les miliciens retournent aux entraînements hebdomadaires et aux camps d’été. En mars 1926, le régiment engage aussi une fanfare avec clairons et trompettes. Durant l’entre-deux-guerres, la fanfare régimentaire atteint une telle réputation qu’en 1939, on envisage un défilé dans les rues de Montréal : un signe évident de la popularité du régiment au sein de la municipalité.
C’est durant la Deuxième Guerre mondiale que les soldats du régiment vécurent le plus d’actions. Contrairement à ce qui se passa durant la Grande Guerre, les volontaires du régiment n’eurent pas à être transférés parmi d’autres unités pour pouvoir être envoyés en Europe. En effet, le 1er septembre 1939, le Régiment de Maisonneuve mobilise un premier bataillon de volontaires qui arrivent en Grande-Bretagne l’année suivante. En parallèle, il fonda aussi un deuxième bataillon qui resta en réserve au Canada. Cependant, à ce moment de la guerre, la grande majorité des troupes canadiennes sont cantonnées en garnison en Grande-Bretagne où elles doivent conduire différents exercices et fonctions… tout en combattant l’ennui.
Indirectement, le Régiment de Maisonneuve participa le 19 août 1943 au raid de Dieppe, aujourd’hui tristement célèbre. Heureusement pour les hommes mobilisés, du fait qu’ils furent assignés comme troupes de réserves, ils purent éviter le terrible massacre sur les plages. Il est certain cependant qu’ils compatirent avec leurs camarades des autres régiments, et plus particulièrement avec leur rival des Fusiliers Mont-Royal. Ce n’est que deux ans plus tard que le Maisonneuve est de nouveau mobilisé. Le 6 juillet 1944, les hommes du Maisonneuve débarquent en Normandie et assistent les troupes américaines à libérer le nord-est de la France, la Belgique et les Pays-Bas jusqu’à la fin de la guerre – au côté, notamment, des Fusiliers Mont-Royal.
À la recherche d’un arsenal
Comme mentionné plus haut, à l’origine, le régiment n’avait pas de manèges militaires. Durant ses premières années, les étages supérieurs du Marché Bonsecours, dans le Vieux-Montréal, servaient alors comme entrepôt pour les uniformes, les pièces d’équipement et les armes du régiment. Devant le manque d’espaces, en 1888, plusieurs unités de milice sont invitées à utiliser la salle d’entraînement « Armoury Arsenal », située au 175, rue Craig Est à Montréal. Au courant des prochaines décennies, le régiment utilise ainsi la salle d’entraînement et différents autres endroits temporaires pour ses activités en région.
La question d’un endroit permanent reste, toutefois, une préoccupation importante pour plusieurs officiers. Le 21 septembre 1927, lors d’une réunion, il est évoqué l’intention de se procurer un arsenal pour centrer les activités du régiment. Il semblerait que de devoir partager la salle d’entraînement sur la rue Craig était le sujet de plusieurs plaintes parmi les membres, comme l’évoque le lieutenant-colonel N.-A Millette en mai 1928 : « …nous ne sommes pas encore sur un pied d’égalité avec les autres unités de Montréal et, naturellement, c’est là un sujet de plaintes parfois amères… ».
Se trouver un local pour accueillir plusieurs centaines de soldats, d’officiers et de musiciens reste toutefois une tâche compliquée. En 1929, la ville d’Outremont offre au régiment un terrain à l’angle des rues Rockland et North, mais rien n’est construit dessus à cause d’un problème d’organisation. Cinq ans plus tard, en 1934, l’érection d’un arsenal pour le régiment est envisagée sur les rues Chapleau et Rachel. Cependant, une manifestation citoyenne organisée par l’église du coin met un frein au projet. La dernière tentative se porte finalement en 1937 lorsque le gouvernement fédéral octroie un budget de 100 000$ pour la construction d’un nouveau manège qui devait inclure une salle d’exercice, une salle de tir, des salles de cours, des allées de quilles, une piscine et des quartiers séparés pour les officiers et les sous-officiers. Ce projet échoue lui aussi, toutefois, lorsque le prochain budget fédéral supprime la subvention prévue.
En attendant, le régiment partage encore la salle d’entraînement de la rue Craig. Le déclenchement de la guerre en Europe, en septembre 1939, augmente du moins le recrutement du régiment qui se trouve en pleine capacité. Les choses accélèrent alors rapidement et en octobre 1939, il est décidé de déménager dans un entrepôt sur la rue Ontario, appartenant à la compagnie Baillargeon et qui fut précédemment rénovée en arsenal. À partir de là-bas, le régiment conduit la majorité de ses activités. En revanche, le Drill Hall demeure leur résidence principale jusqu’à leur déménagement au manège militaire de Cathcart.
Le Drill Hall
Construit à la fin du 19e siècle, au même moment que plusieurs unités militaires voient le jour à Montréal, le Drill Hall est un large immeuble destiné à l’entraînement des troupes. En 1938, la façade du bâtiment est rénovée. La salle accueille le Régiment de Maisonneuve jusqu’à leur déménagement en 1965 au manège militaire de Cathcart. Par la suite, le manège devient un centre de détention avant d’être démoli en 1969 en vue de la construction de la prison de Waterloo.
Le manège militaire de Cathcart
En parallèle de la recherche du Régiment de Maisonneuve pour un nouveau manège, les Victoria Rifles (fondé en 1862) réussissent finalement à construire eux-mêmes leurs propres manèges militaires, de 1933 à 1934. Menée par l’architecte montréalais David Jerome Spencer, la façade extérieure du manège a été construite dans un style Tudor qui rappelle consciemment un château médiéval. Détonnant complètement avec le reste des bâtiments autour, le manège arbore ainsi trois tourelles, d’un balcon et d’une porte avec une herse.
Contrairement à plusieurs autres manèges sur l’île de Montréal, le manège de Cathcart a été construit en hauteur pour s’adapter à l’aménagement urbain du centre-ville. Le rez-de-chaussée du bâtiment contient ainsi les bureaux pour les employés et la salle de repos pour les soldats, tandis que le deuxième étage est principalement réservé aux mess des officiers et aux salles de réception. Finalement, à l’étage supérieur, nous y trouvons la salle d’entraînement principale où les membres du régiment pratiquent des sports d’équipe ou participent à des compétitions de lutte amateur.
Les Victoria Rifles occupent le manège jusqu’à leurs dissolutions en 1965. En effet, à ce moment, l’Armée canadienne réorganise ses régiments et il est décidé à les dissoudre en faveur du Régiment de Maisonneuve. Ce dernier gagne ainsi finalement un manège, mais à la condition de faire perdurer la lignée des Victoria Rifles pour les prochaines années.
Au-dessous : Quelques photos de notre visite au manège du Régiment de Maisonneuve qui montre, tour à tour, le gymnase, la salle des soldats et les différents mess des officiers.
Le régiment aujourd’hui
Le régiment est une unité très fière de son histoire et ses membres aujourd’hui gardent toujours le même entrain que leurs collègues du siècle dernier. À cet effet, le régiment continue à organiser différentes activités et différents entraînements pour ses recrues, de même qu’à maintenir plusieurs activités sociales pour leurs entourages. Depuis la Deuxième Guerre mondiale, plusieurs des membres du régiment sont engagés dans d’autres opérations, comme en Afghanistan, et ailleurs dans la province. Le Maisonneuve demeure actif, et sa tradition est maintenue.
Naturellement, le manège est aussi toujours actif et accueille régulièrement les activités du régiment. Les visiteurs seront, toutefois, impressionnés par la quantité d’objets de toutes sortes qui décorent chaque mètre du bâtiment. La longue histoire du régiment côtoie ainsi les officiers, les soldats et les recrues qui travaillent encore quotidiennement dans les bureaux. Actuellement, les responsables du manège s’affairent activement à inventorier et à documenter les objets qu’ils détiennent, de même qu’à ajouter de nouvelles acquisitions pour leur collection. Pour les responsables, réserver quelques pièces pour un musée régimentaire n’est pas dans les plans. « Le musée est tout autour de nous », nous déclara le responsable Jacques Coiteux pour nous décrire le manège, lors de notre visite. À cet effet, le Régiment se retrouve avec un travail titanesque pour documenter leur imposante collection, mais les résultats sont là avec un bâtiment magnifique et riche en histoire.
Article rédigé par Julien Lehoux pour Je Me Souviens.
Sources :
- « Le Régiment de Maisonneuve », Gouvernement du Canada/Government of Canada.
- « Le Régiment de Maissonneuve : Histoire », Le Régiment de Maisonneuve.
- « Manège militaire de Cathcart », Parcs Canada/Parks Canada.
- « The Undead », World War Graphic History (en anglais).
En complément :
- Une collection de presque 100 photos montrant les activités du Régiment de Maisonneuve à Montréal durant la Deuxième Guerre mondiale est disponible sur le site de la BAnQ ici.
- Finalement, nous vous conseillons de consulter le livre Bon Cœur et Bon Bras : Histoire du Régiment de Maisonneuve, 1880-1980 pour une histoire complète du régiment.