Len et Cub : une histoire 2SLGBTQ+ de la Première Guerre mondiale

Au début du 20e siècle, les personnes 2SLGBTQ+ faisaient l’objet de graves persécutions. Ce n’est qu’en 1969 que l’homosexualité a été décriminalisée; jusque-là, les couples de même sexe réprimaient leur affection en public de crainte d’être emprisonnés ou persécutés. Pour beaucoup d’entre eux, il était difficile de parler ouvertement de leur expérience, même par la suite. C’est notamment le cas des militaires 2SLGBTQ+ pendant la Première Guerre mondiale.

En plus de subir du harcèlement des autres soldats, les membres 2SLGBTQ+ du Corps expéditionnaire canadien s’exposaient à des accusations en vertu de la loi militaire, à une condamnation à la prison ou aux travaux forcés, voire à l’expulsion du Corps. On n’a que très peu d’exemples de couples de même sexe qui ont servi dans le Corps expéditionnaire canadien. On sait toutefois que Len et Cub, deux soldats, ont été l’un d’eux.

Une image vaut mille mots

La découverte de l’histoire de Len et Cub remonte à 2011, quand une série de photographies est arrivée aux Archives provinciales du Nouveau-Brunswick. Les images avaient été achetées par John Corey, un historien de la région, lors d’une vente de succession. Le photographe qui les avait captées était Leonard Keith, un camarade de classe de Roy, le père de John. Roy avait déjà parlé de Leonard à son fils, et lorsque John a fait don des photos, il a remarqué que le petit ami de Leonard figurait sur certaines. Trouvant ces photos fascinantes, l’historienne Meredith Batt et l’historien Dusty Green ont commencé à reconstituer l’histoire de Len et Cub à partir de diverses sources d’archives. Leur travail a permis de mettre celle-ci au grand jour plus de cent ans plus tard.

Né en 1891, Leonard « Len » Olive Keith était issu d’une éminente famille de Havelock, au Nouveau-Brunswick. Son père était propriétaire d’un magasin général, le « Mercantile », où Len y occupait un emploi de chauffeur. Lorsque sa famille a fait l’achat d’un appareil photo, Len a commencé à photographier ce qu’il aimait, comme sa famille, ses séjours en camping et son partenaire, Cub. Joseph Austin « Cub » Coates, né en 1899, venait d’une famille agricole voisine des Keith. Les deux jeunes hommes se sont connus à un très jeune âge et ont fréquenté la même école. Les archives photographiques portent à croire que la relation entre Len et Cub a commencé vers 1915. Tout comme les photos qu’on prend avec nos téléphones aujourd’hui, les images centenaires montrent le duo s’amusant avec des ami(e)s et pratiquant différentes activités. Le couple se baladait souvent dans la voiture familiale des Keith et pique-niquait à la campagne. Sur certaines photos, Len et Cub portent tous deux une bague à la main gauche, qui symbolisait vraisemblablement leur amour l’un pour l’autre.

Image en noir et blanc de trois jeunes hommes assis dans une pièce. L'homme de droite tient une tasse et a les yeux légèrement fermés. L'homme du milieu sourit et celui de droite a les mains croisées sur les genoux et fume la pipe. Derrière eux se trouvent des étagères remplies de conserves et d'ustensiles de cuisine.
Leonard « Len » Keith (au centre) avec son frère, Frank (à gauche), et leur ami Roy Corey (à droite). C’est grâce au fils de Roy Corey, John, que les photos de Len ont atterri aux Archives provinciales du Nouveau-Brunswick. Plusieurs images de la collection, y compris celle-ci, montrent Len en train de s’amuser avec ses ami(e)s et sa famille (source : Archives provinciales du Nouveau-Brunswick, P27-MS1-O-75).
Image en noir et blanc de deux hommes assis dans une cabane. L'homme de gauche a son bras gauche autour des épaules de l'homme de droite. L'homme de droite tient la main de l'autre homme qui repose sur son épaule. Il porte une bague à l'annulaire gauche.
Joseph Austin « Cub » Coates (à gauche) et Leonard « Len » Olive Keith (à droite), probablement pendant un de leurs séjours au chalet des Keith. Beaucoup de photos montrent Len et Cub portant une bague. Il pourrait s’agir d’un symbole de leur amour, car les deux jeunes hommes la portent souvent lorsqu’ils sont ensemble. De plus, sur les images de Len captées après la rupture du couple, Len ne porte plus la sienne (source : Archives provinciales du Nouveau-Brunswick, P27-MS101-140).
Image en noir et blanc d'un jeune homme debout derrière une vieille voiture. L'homme porte une casquette et regarde directement l'appareil photo. L'image a été prise le long d'une route de campagne.
Cub à côté de la voiture des Keith. Len utilisait la voiture pour ses livraisons au Mercantile, mais aussi pour se promener avec Cub en campagne (source : Archives provinciales du Nouveau-Brunswick, P27-164).

Len et Cub s’en vont en guerre

Comme beaucoup de jeunes hommes de leur génération, Len et Cub ont vu leur vie chamboulée par la Première Guerre mondiale. Si plus de 300 000 Canadiens se sont engagés volontairement dans les premières années de la guerre, à la fin de 1916, les nouvelles recrues se faisaient rares. Le 29 août 1917, le gouvernement canadien a donc promulgué la Loi du Service Militaire. Celle-ci permettait au gouvernement d’enrôler dans le Corps expéditionnaire canadien tout Canadien ayant entre 20 et 45 ans. Des exemptions étaient accordées pour diverses raisons, notamment aux hommes qui devaient subvenir aux besoins de leur famille. Étant l’aîné de sa fratrie et vivant avec ses parents, Len s’est probablement senti responsable d’aider sa famille au Mercantile le plus longtemps possible. De plus, il venait d’ouvrir sa propre entreprise, un garage derrière le Mercantile, où il avait engagé Cub à titre de mécanicien. Cependant, dans une modification de la Loi du Service Militaire le 20 avril 1918, le gouvernement a retiré la possibilité d’exemption. Len a donc été appelé à prêter main-forte le 30 avril 1918. Cub, qui venait d’avoir 19 ans en mars, a suivi les traces de Len et s’est enrôlé volontairement peu de temps après, le 16 mai 1918.

Len et Cub ont fait leur entraînement ensemble à Saint-Jean-sur-Richelieu, et les deux sont devenus sapeurs dans la réserve du Corps de génie royal canadien. Les sapeurs, ou ingénieurs de combat, ont travaillé sur un éventail de projets pendant la guerre. Ils s’occupaient notamment de la construction de routes et de ponts ainsi que du creusement de tranchées. Les sapeurs se trouvaient généralement dans la ligne de tir, et leur travail, qui comprenait la désactivation de mines antipersonnels, s’est souvent révélé extrêmement dangereux.

Image en noir et blanc de deux hommes en uniforme militaire. Ils se tiennent devant une série de tentes blanches et sourient.
Bien que les appareils photo personnels fussent interdits au front, Len a pu apporter le sien à Saint-Jean-sur-Richelieu pour son entraînement. C’est là que le couple a été photographié avant que Len soit déployé en Angleterre en juillet 1918 (source : Archives provinciales du Nouveau-Brunswick, P27-MS1A1-49).

Malheureusement, Len et Cub ont passé la majeure partie de leur temps à l’étranger séparés. Arrivé en Europe le premier, Len a été porté à l’effectif du 2nd Canadian Engineers Reserve Battalion (CERB) avec 2 000 autres soldats le 26 juillet 1918. Le 6 août suivant, le 3rd CERB a été formé, et Len y a été affecté. Cub a quant à lui été porté à l’effectif du 2nd CERB le 15 août, ratant Len de neuf jours. Il a ensuite été muté au 3rd CERB le 23 septembre. Le 8 octobre, les deux hommes sont partis pour la France, arrivant au camp de renforts du Corps canadien d’Aubin-Saint-Vaast cinq jours plus tard. Au camp, les sapeurs étaient dépêchés en renfort dans différents bataillons au front, selon les besoins. Cette période a vraisemblablement été intense pour Len et Cub, car leur passage en France coïncide avec ce que les spécialistes appellent aujourd’hui les cent jours du Canada. Les cent derniers jours de la Première Guerre mondiale ont été particulièrement importants pour les troupes canadiennes, car celles-ci ont lancé de nombreuses offensives qui ont aidé à repousser l’armée allemande. Pour reprendre les mots de sir Arthur Currie, ancien commandant du Corps canadien :

« Le succès du Corps canadien dans les cent derniers jours tient au fait que nous disposions d’un nombre suffisant d’ingénieurs pour la réalisation des travaux de génie, ce qui a permis de ne pas avoir recours à l’infanterie pour ce genre de travaux. »

La vie après la guerre

Len et Cub sont tous deux restés en France jusqu’au début de 1919. Ils pourraient avoir participé à certains aspects de la reconstruction après-guerre. Par la suite, Len a été muté en Angleterre en janvier 1919, alors que Cub a été envoyé en Belgique le 26 février 1919 pour servir dans la 3rd Canadian Infantry Works Company. En septembre, les deux hommes étaient de retour au Canada et travaillaient au garage de Len. La guerre était finie, mais Len et Cub ont continué de servir volontairement au sein de l’armée, notamment dans le 8th Canadian Hussars (Princess Louise’s). Len a été promu lieutenant provisoire en 1922, mais il a quitté le 8th Canadian Hussars en 1923. Cub a quant à lui poursuivi son service et est devenu capitaine en 1928.

Malheureusement, la relation de Len et Cub a changé après la guerre. Peu de photos d’eux ont été prises après leur retour. Ultimement, dans les années 1920, le couple s’est séparé. Puis, en 1931, Len a été forcé de quitter Havelock, son homosexualité ayant été dévoilée par un groupe d’hommes. Il s’est ultérieurement établi à Saint-Hubert et n’est jamais retourné dans son village natal de son vivant. En 1950, Len est décédé des suites d’un cancer, et sa sœur l’a enterré à Havelock avec leurs parents. Quant à Cub, il s’est marié avec Rita Cameron, une infirmière de Moncton, en 1940. Peu de temps après, pendant la Deuxième Guerre mondiale, il s’est joint au Corps de prévôté à titre de policier militaire. On l’a affecté dans une prison d’Écosse, et il a fini par devenir caporal suppléant. Après la guerre, Cub s’est installé au Nouveau-Brunswick, où il est décédé en 1965.

Même si la relation de Len et Cub n’a pas duré, leur histoire est l’un des rares exemples connus d’un couple 2SLGBTQ+ ayant été dans l’armée pendant la Première Guerre mondiale. Il y a certainement d’autres personnes 2SLGBTQ+ qui ont servi dans le Corps expéditionnaire canadien, mais l’intolérance de la société a empêché beaucoup d’entre elles de se présenter au monde de façon authentique. Par conséquent, de nombreuses histoires ont été perdues. La découverte de la relation entre Len et Cub près d’un siècle plus tard nourrit l’espoir que la recherche historique lève le voile sur d’autres histoires semblables.

Image en noir et blanc de deux hommes assis côte à côte. Ils portent tous deux des casquettes et des vêtements de travail. Leurs vêtements sont couverts de taches et leurs mains sont sales.
Après la guerre, Cub a travaillé avec Len au garage derrière le Mercantile. Sur cette photo prise dans les années 1920, les deux portent une tenue de mécanicien (source : Archives provinciales du Nouveau-Brunswick, P27-MS1F1-144).

Article rédigé par Anthony Badame pour Je Me Souviens. Traduction par Émilie Savard (https://emiliesavardtranslations.ca/fr/).

Sources:

Pour en savoir plus sur Len et Cub :

D’autres sources pertinentes :