Les soldats francophones de la Force C


Des milliers de Canadiens-français servirent dans l’armée canadienne durant la Deuxième Guerre mondiale. Parmi eux, plusieurs furent mobilisés au sein de la Force C : la force canadienne envoyée défendre la colonie britannique de Hong Kong. Dans ce bref article, découvrez le baptême du feu du Québec durant la guerre !

Au Québec, le cursus scolaire a tendance à résumer la participation des Canadiens-français durant la Deuxième Guerre mondiale à la crise de la conscription de 1944 avec, parfois, quelques mentions sur le débarquement de Normandie et la libération des Pays-Bas. Toutefois, très peu connaissent en profondeur la participation des quelque 160 000 Canadiens-français qui se sont enrôlés volontairement dans l’armée.

Très peu au Québec savent, notamment, que la première participation de la province à la Deuxième Guerre mondiale fut le 8 décembre 1941, durant la bataille de Hong Kong. En effet, s’il n’était pas une unité officiellement francophone, près du tiers des membres du Royal Rifles of Canada était francophone.

Des soldats du Régiment de Maisonneuve en marche dans les Pays-Bas, avril 1945 (source : Wiki Commons).

Les Royal Rifles of Canada

Les Royal Rifles of Canada étaient basés à Québec et voient leurs origines en 1862. Avant la Deuxième Guerre mondiale, sa réputation était déjà bien ancrée dans l’armée canadienne. En effet, il compte déjà à son actif des déploiements durant la Seconde guerre des Boers (1899-1902) et la Première Guerre mondiale (1914-1918). En 1939, les Royal Rifles sont rappelés au service actif. Comme plusieurs autres régiments à l’époque, au lendemain de l’entre-deux-guerres, les Royal Rifles durent relever plusieurs défis de recrutement et d’approvisionnement en équipement. Pour pallier le manque en hommes, le 20 juillet 1940, plus de la moitié des officiers et soldats du 7th/11th Hussars (une jeune unité de blindée basée à Sherbrooke) furent mutés au Royal Rifles.

Malgré être basé aux alentours de la région de Québec, le régiment est officiellement anglophone. Il attire cependant une large quantité de francophones qui viennent des régions avoisinantes et qui constituent presque la moitié des effectifs du régiment — tout ou plus de 40 % des hommes. Nous pouvons, par exemple, compter le jeune Jean Leblanc, de New Richmond au Québec, qui rejoint l’armée en 1940 à l’âge de 16 ans. Nous retrouvons aussi Bernard Castonguay, originaire de Montréal, qui se rendit lui aussi à Québec pour rejoindre le régiment.

À l’époque, la langue d’usage dans l’armée canadienne était l’anglais, même dans les régiments francophones ! Toutefois, les soldats n’avaient pas de grandes difficultés à comprendre les ordres et les adaptèrent souvent au français comme l’explique Lucien Dumais des Fusiliers Mont-Royal : « On remarquera sans doute qu’au cours de ma conversation avec le colonel, je dis souvent monsieur, au commencement, au milieu des phrases et même à la fin. C’est une traduction de l’anglais « sir » que les soldats canadiens de langue anglaise tiennent des Britanniques. » (Lucien Dumais, 1968, p. 94).

Pour les Royal Rifles of Canada, ce n’était d’autant pas un problème non plus tandis que plusieurs des volontaires étaient déjà bilingues lors de leurs enrôlements. De fait, pour plusieurs des francophones, l’anglais était la langue d’usage à l’entraînement comme en mission.

Des soldats du Royal Rifles of Canada arrivent à Hong Kong, le 16 novembre 1941 (source : Bibliothèque et Archives Canada).
Des soldats du Royal 22e Régiment se préparent à un débarquement en Italie, septembre 1943 (source : Wiki Commons).
Des membres du Régiment de la Chaudière en patrouille aux Pays-Bas, janvier 1945 (source : Wiki Commons).
Adrien Boissoneault, des Royal Rifles, retrouvent son père à son retour au Québec après la guerre (source : Hong Kong Veterans Commemorative Association).

À Hong Kong

Les Royal Rifles of Canada débarquent à Hong Kong en novembre 1941 avec le reste de la Force C. Au risque de souligner l’évidence, l’expérience des soldats francophones là-bas ne différa pas de celle des anglophones. Comme n’importe quel autre soldat, qu’il soit anglophone, britannique, chinois ou indien, les francophones du Royal Rifles of Canada ont combattu avec acharnement l’armée japonaise lors de l’invasion de la colonie en décembre 1941.

Les Japonais capturèrent d’abord la péninsule de Kowloon, avant de rejoindre l’île de Hong Kong quelques jours plus tard. C’est là-bas que les Royal Rifles participent directement au combat pour la première fois. Étant un signaleur, Bernard Castonguay est l’un des premiers à entendre l’arrivée des Japonais. Il raconte ainsi, en anglais, dans une entrevue :

« […] Et c’était vraiment un choc. La première bombe qui est tombée près de moi par des avions, c’était vraiment quelque chose, mais après cela, je n’étais pas du tout nerveux. Ça pouvait arriver. » (source).

Cette première salve de bombardement fit d’ailleurs l’une des premières victimes québécoises de la guerre : l’officier Albert Bilodeau. Originaire de Richelieu, le sergent de la Compagnie C fut blessé par une bombe. Il survécut heureusement à la bataille, mais fut ultimement capturé par les Japonais, comme le reste de son régiment.

Les Alliés sont rapidement submergés par l’armée japonaise après leur débarquement sur l’île. Cependant, les Royal Rifles sont parmi les derniers à avoir combattu à Hong Kong et de ce fait, un certain nombre de soldats francophones étaient parmi les résistants lors de l’assaut final du village de Stanley. La bataille se conclut finalement en défaite tragique, tandis que la totalité des défenseurs sont faits prisonniers jusqu’à la fin de la guerre.

Les Japonais ne firent pas de différences entre leurs prisonniers francophones et anglophones. Ceux-ci furent donc mêlés dans les camps et vécurent les mêmes conditions effroyables. Pour les Francophones, la seule particularité est qu’ils étaient obligés de communiquer avec leurs familles en utilisant l’anglais. Les gardes n’avaient effectivement pas  les ressources, ni la patience, pour décortiquer les lettres en français et s’assurer qu’elles ne recèlent aucune information compromettante.

Dans tous les cas, la communication était pitoyable. La famille de Bernard Castonguay n’aura ainsi pas de ses nouvelles durant presque deux ans, à l’exception de quelques lettres génériques du gouvernement ou des articles de journaux. C’est seulement le 11 septembre 1943 que la famille de Castonguay reçoit une première lettre à écrire de sa main… datée du 31 mai 1942 !

Conclusion

Finalement, la guerre s’arrêta pour eux en août 1945 à la reddition du Japon. Les Canadiens-français purent ainsi retourner chez eux. Qu’en est-il toutefois de leur héritage ? La majorité des régiments francophones existent toujours et célèbrent encore leurs faits d’armes, perpétuant la mémoire des vétérans aujourd’hui disparus. Toutefois, les Royal Rifles of Canada furent dissous en 1966. Si, du fait de leur mutation en 1940, le Sherbrooke Hussards porte aujourd’hui le badge des Royal Rifles avec l’année 1941 sur leurs uniformes en leur honneur, la grande participation de soldats francophones du Québec est encore très peu connue.

Photo de couverture : Lauréat Bacon (à gauche) et un camarade sont en entraînement à Terre-Neuve (source : Hong Kong Veterans Commemorative Association). Consultez son dossier ici.

Article rédigé par Julien Lehoux pour Je Me Souviens.

Sources :

En 2024, Julien a fait publié un article scientifique sur le traitement mémoriel de la bataille de Hong Kong au Québec. Vous pouvez le lire gratuitement, juste ici :


Cet article fut publié dans le cadre de notre exposition sur le débarquement de Normandie : Des chances impossibles. Consulter notre exposition pour en apprendre davantage sur l’histoire des Canadiens partis défendre la colonie de Hong Kong !