Alors que la guerre sévit en Europe, la Grande-Bretagne subit de nombreux raids aériens de l’opération Blitz des allemands en 1940. Les familles de Londres doivent alors se réfugier dans les campagnes et les enfants se retrouvent souvent à faire le voyage seuls. C’est le cas des quatre enfants de la famille Pevensie. Ils fuient les bombardements et se retrouvent dans la maison du Professeur Digory Kirke. C’est à ce moment qu’ils découvrent le monde de Narnia et les différents trésors, les malheurs et la magie qui habitent ce monde inconnu.
Les Chroniques de Narnia
Les Chroniques de Narnia sont parues entre 1950 et 1956, alors que le monde se remettait peu à peu du grand conflit armé qu’était la Seconde Guerre mondiale. Cette série fantastique de livres pour enfants a marqué plusieurs générations, encore appréciée à ce jour par les petits et les grands.
De nombreuses analyses (historiques ou littéraires) peuvent être tirées de cette série littéraire, ainsi que de ses adaptations (théâtrales, cinématographiques ou à la télévision). Notamment, est-ce que la Seconde Guerre mondiale aurait inspiré l’œuvre de C.S. Lewis ? Ou ne serait-ce plutôt la Première ? Sinon, ne serait-ce pas la foi chrétienne?
C.S. Lewis
Né à Belfast, Irlande, en 1898, Clive Staples Lewis est l’un des plus grands auteurs britanniques du XXe siècle. Ayant publié plus d’une trentaine d’œuvres, il est reconnu pour une bonne partie d’entre elles, notamment “Mere Christianity” (1952), Le Silence de la Terre (1938) et les Chroniques de Narnia. Il entre au Collège Malvern (Angleterre) en 1911. Durant ces années, il découvrit son amour de la littérature, de la fantaisie et des mythologies. En 1914, il continue ses études comme élève privé sous la tutelle de W.T. Kirkpatrick, avec qui il découvre la littérature classique, et reçoit une bourse d’études pour Oxford en 1916.
Lewis s’enrôle en 1917 dans l’armée anglaise et joint l’infanterie au combat lors de la Première Guerre mondiale. En 1918, il se retrouve blessé et l’un de ses amis très proche (Paddy Moore) décède au combat. Après sa démobilisation, il emménage un certain temps avec la mère et la sœur de Moore. En 1925, il prend position au Magdalen College et rejoint le club des Inkling en 1926, où il rencontre J.R.R. Tolkien (Le Seigneur des anneaux). Au début des années 1930, il abandonne l’athéisme, s’ouvre à nouveau à l’idée d’un Dieu, et se convertit au christianisme en 1931. Il publie plusieurs livres dans les années d’avant-guerre, et participe à une chronique radio (l’ancêtre du podcast) chrétienne durant la guerre qui devient plus tard un ouvrage écrit (Mere Christianity, 1952).
Durant les années de la Seconde Guerre mondiale (1940-1945), Lewis reste dans sa maison de campagne et accueille même plusieurs enfants réfugiés. Ces années seront prolifiques d’un point de vue littéraire. Il commence à écrire les Chroniques de Narnia vers la fin de cette décennie et publie Le Lion, la Sorcière blanche et l’Armoire magique en 1950. En six ans, il finit l’entièreté des sept tomes. Il publie encore plusieurs autres œuvres jusqu’à sa mort en 1963, à l’âge de 64 ans.
Contexte d'après-guerre (bien et mal)
De nombreuses analyses littéraires ont été faites au sujet des Chroniques de Narnia. Un thème est particulièrement récurrent, celui de la chrétienté. Par contre, les notions chrétiennes transmises au sein des chroniques (courage, foi, adversité, loyauté, etc.) ne sont pas particulières aux chrétiens, mais bel et bien à de nombreux peuples et nations. Les Chroniques de Narnia ont commencé à être théorisées par Lewis durant la Seconde Guerre mondiale et ont été publiées dans la décennie suivant cet événement marquant. Dans ce contexte d’après-guerre, un contexte se remettant tout juste des plus grandes atrocités, les concepts du bien, de la foi et du triomphe contre le mal sont nécessaires. Un trauma a été vécu par l’ensemble de la planète et cela caractérise bien les besoins de cette nouvelle génération à venir.
Les enfants Pevensie fuient le grand mal de leur époque, de leur monde, pour se retrouver au centre d’une énième lutte entre le bien et le mal. Les quatre enfants sont la représentation de l’innocence, et donc d’un petit groupe contre une plus grande menace. C’est grâce à leur courage, leur foi et leur persévérance qu’ils réussissent à battre la Sorcière blanche, personnification du mal. Les Chroniques de Narnia sont l’histoire d’un petit groupe qui se bat contre une force du mal bien plus grande qu’eux et qui réussissent même si tout espoir semble perdu. Il est possible de faire le parallèle avec le contexte historique dans lequel C.S. Lewis a publié son œuvre, et cela peut expliquer la popularité de son œuvre.
À l’époque, la littérature pour enfant se tenait loin des œuvres fantastiques, ou même des scènes de violence. Malgré les critiques, les Chroniques de Narnia sont rapidement devenues un classique de la littérature du XXe siècle. Mais pourquoi ? Alors que la Seconde Guerre mondiale se termine, nous avons un besoin de gérer le traumatisme du passé récent. Une histoire de triomphe contre le mal, une histoire où l’innocence l’emporte, est ce dont le monde avait besoin. Les contes de fées sont souvent utilisés en psychologie pour gérer les traumatismes, notamment chez les enfants (N. Norris, 2012). On parle notamment du phénomène d’échappatoire en littérature, permettant de faire le pont entre les angoisses du quotidien, ou les grands traumatismes, et un monde imaginaire qui permet, d’un moyen ou d’un autre, de mettre ces angoisses en perspectives par les conflits et angoisses du monde fantastique.
Tel que soutenu par Norris (2012), Le Lion, la Sorcière blanche et l’Armoire magique permet un espace liminaire (entre-deux) où les traumatismes et les angoisses peuvent être articulés, ordonnés et donc, travaillés. En effet, les Chroniques traitent des grands thèmes du trauma, la perte et la trahison, et ce, à plusieurs niveaux. Tout d’abord, les enfants Pevensie sont trahis par leur propre pays et leur propre famille par le fait-même d’être envoyés au loin. (Bien que la propagande misait sur la mise en sécurité des enfants en les envoyant au loin, les intentions étaient toutes autres. En libérant les mères de leurs enfants, cela permettait de les utiliser comme force de travail. Ne pas évacuer était vu comme un acte de trahison, et plusieurs familles ont souffert de cette raison.) Les protagonistes vivent alors avec la perte de leur famille, mais aussi la trahison de devoir partir au loin. Une fois à Narnia, plusieurs trahisons et pertes sont vécues, que ce soit Edmund et son alliance avec la Sorcière blanche, la perte du foyer de la famille de castor, ou encore le sacrifice d’Aslan. Les enfants Pevensie vivent toutes ces difficultés, et malgré leur triste sort, en ressortent plus fort et prêts à tout pour combattre le grand mal. Ce conte permet donc de donner la foi à ses lecteurs, autant envers soi-même, qu’envers un bien plus grand que soi. Il est donc possible de faire l’hypothèse que le succès des Chroniques vient du besoin de la génération d’après-guerre de gérer les grands traumatismes de la guerre, que ce soit la perte, la trahison ou bien le besoin de tout reconstruire.
Les inspirations
Plusieurs événements, personnes, et concepts ont influencé et inspiré Lewis lors de la rédaction de son œuvre. En voici quelques-uns.
Lewis a servi lors de la Première Guerre au sein de l’armée britannique. Son expérience au sein des tranchées a inspiré les aspects militaires de son œuvre.
Lorsqu’il était adolescent, il aura eu des visions, soit en rêve ou en œuvres d’art, d’un faune avec un parapluie sous la neige, ou encore d’une reine en traineau. Aslan, le lion, lui est venu en rêve alors qu’il avait déjà commencé le premier tome et c’est cette idée qui a lié tout le reste de l’histoire et des six livres suivant la parution du premier. L’idée de Narnia lui vient d’une idée toute simple, celle d’un lampadaire perdu dans la forêt enneigée. Cette image est à la base de toute la création de Narnia.
Une fois adulte, il devient professeur à Oxford, puis Cambridge. Il rencontre durant ces années les autres membres du club d’écrivains “The Inklings”, dont J.R.R. Tolkien. Ce dernier et Lewis sont des influences mutuelles dans le développement du genre fantastique. Tolkien l’inspire d’ailleurs à laisser ses influences religieuses au sein de ses écrits. Par contre, son cher ami en vient même à critiquer le côté très allégorique des chroniques de Narnia.
Lors de la Seconde Guerre mondiale, Lewis a accueilli quatre enfants chez lui lors des raids aériens. Ces enfants ont inspiré Lewis lorsqu’il a créé les personnages des quatre enfants Pevensie. Cependant, le personnage de Lucy est inspiré de sa nièce Lucy directement. Il dédicace même le premier tome à sa nièce, espérant que ce conte lui plaira.
Fier défenseur de la foi chrétienne, Lewis s’inspire de différentes facettes de la Bible et autres textes saints pour créer son histoire. L’un des plus grands parallèles est celui entre Aslan et le Dieu chrétien. Aslan prend différents rôles d’un tome à un autre, incarnant les caractéristiques d’un Dieu tout puissant dans un livre (Le Neveu du Magicien), un Jésus qui guide et qui se sacrifie dans un autre (Le Lion, la Sorcière blanche et l’Armoire magique) ou encore le Saint-Esprit dans d’autres. Plusieurs autres histoires de la Bible ont inspiré Lewis, notamment la Genèse et David et Goliath.
Ces informations ont été confirmées par Lewis lui-même comme inspiration, ou par la société historique littéraire en l’honneur de C.S. Lewis.
Est-ce que la Seconde Guerre mondiale a inspiré Narnia ?
Par contre, l’importance de la Seconde guerre dans la création des Chroniques de Narnia n’est pas confirmée, autre que pour le contexte au début du premier tome Le Lion, la Sorcière blanche et l’Armoire magique. Lewis n’en a pas réellement parlé et les analyses faites entre les deux sont peu nombreuses, et généralement contemporaines au XXIe siècle. La Seconde Guerre mondiale est brièvement mentionnée lors de l’introduction afin d’expliquer pourquoi les quatre enfants Pevensie se retrouvent chez le Professeur Digory Kirke. Et c’est tout.
Sur plusieurs blogs officiels pour les grands amateurs de la série littéraire et des films, il est souvent mentionné que le lien entre la Seconde Guerre et les Chroniques provient de l’ajout de détails au sein des films de 2005 et 2008. En effet, au début du premier film (2005), il est possible de voir en détail les raids aériens sur Londres. Lors de ce raid, les thèmes de perte sont présents, notamment lorsque Edmund risque sa vie, et celles des autres, afin de récupérer une photo de leur père parti au combat. Est-ce que cet ajout de détails était un choix purement cinématographique ? Ou est-ce plutôt car l’imaginaire des générations suivantes a été particulièrement touché par la Seconde Guerre ? Lewis, ayant vécu la guerre ne voulait peut-être pas trop y porter attention, mais les nouvelles générations peuvent avoir replacé l’œuvre dans son contexte historique et y porter une attention beaucoup plus particulière que l’intention de base de l’auteur.
Article écrit par Aglaé Pinsonnault pour Je me souviens.
Sources :
- « About C.S. Lewis », The Official Website of C.S. Lewis (en anglais).
Pour une approche plus académique :
- Colin Duriez, Tolkien and C.S. Lewis: The Gift of Friendship, Mahwah, PaulistPress, 2003, 244 p. (en anglais).
- Colin Duriez, C.S. Lewis: A Story of Friendships, Oxford, Lion Books, 2013, 256 p. (en anglais).
- Doris T. Myers, C.S. Lewis in Context, Kent, The Kent State University Press, 1994, 264 p. (en anglais).
- Nanette Norris, « War and the Liminal Space: Situating The Chronicles of Narnia in the 20th Century Narrative of Trauma and Survival », Michelle Ann Abate et Lance Weldy (dir.), C.S. Lewis: The Chronicles of Narnia (New Casebooks), Londres, Palgrave Macmillan, 2012, pp. 71-89 (en anglais).
- Martha C. Sammons, A Guide Trough Narnia, Vancouver, Regent College Publishing, 2006, 244 p. (en anglais).
- Dominique Wilson, « Christianity in Narnia », Victoria Barker et Frances Di Lauro (dir.). On a Panegyrical Note: Studies in Honour of Garry W. Trompf, Sydney, Dept. of Studies in Religion, University of Sydney, 2007, pp. 173-188 (en anglais).