Parachutiste pour le 1er Bataillon canadien, Clarence David Lapierre fut l’un des premiers soldats à arriver en France durant la Deuxième Guerre mondiale ! Toutefois, la participation des parachutistes canadiens dans le plus grand débarquement de la guerre est encore plutôt méconnue.
Le débarquement de Normandie, le 6 juin 1944, fut une très grande réussite grâce à la collaboration de tous les éléments de l’Armée canadienne et de ses alliés. La participation de l’infanterie et de la marine est bien connue dans l’imaginaire collectif grâce en partie aux nombreuses images diffusées du débarquement. Toutefois, nous connaissons moins les contributions importantes des parachutistes canadiens.
Pourtant, des centaines de Canadiens se sont portés volontaires parmi le 1er Bataillon canadien de parachutistes. C’est le cas notamment du jeune Clarence David Lapierre, surnommé « Dude » par ses camarades. Ce dernier est né le 9 novembre 1923 à Owen Sound, en Ontario. La ville d’Owen Sound est surtout connue comme étant le lieu de naissance du célèbre pilote Billy Bishop. Durant la Première Guerre mondiale, Bishop abat 72 avions ennemis et survit même à un duel contre Manfred von Richthofen, mieux connu comme le « Baron Rouge » !
Après la guerre, Bishop travailla longtemps avec la Royal Canadian Air Force pour le recrutement de nouvelles troupes. Cependant, il serait impossible de déterminer si les exploits ou le travail de recrutement de Bishop eurent une quelconque influence sur le choix de Lapierre à s’enrôler. En réalité, nous ne connaissons que très peu de choses de sa vie avant la guerre. De même, la trajectoire de Bishop et Lapierre est très différente. En revanche, lorsque l’appel de la guerre se fit retentir, les deux firent le même choix : prendre les airs.
Le 1er Bataillon canadien de parachutistes

Le Canada n’avait aucune unité de parachutiste avant la Deuxième Guerre mondiale. Après tout, il faut rappeler qu’à l’époque, les avions étaient encore une invention relativement récente. De plus, l’idée de sauter en bas de l’un de ces engins semblait plutôt insensée pour plusieurs personnes ! Durant l’entre-deux-guerres, différents pays européens entreprennent divers tests pour développer des troupes parachutistes, mais c’est l’Allemagne nazie qui est la première à mettre en marche un véritable programme. Les Fallschirmjäger, la division aéroportée de la Luftwaffe, connaissent alors plusieurs succès dans les premiers stages de la guerre et prouvent aux Alliés l’utilité de telles unités.

Une utilité, toutefois, qui échappa d’abord pour le Canada. En effet, tandis que la Grande-Bretagne et les États-Unis commencent leurs propres programmes au début de la guerre, le gouvernement canadien est plus hésitant à faire de même. À ce moment, les raisons citées sont aussi diverses que nébuleuses, comme le commente l’historien Bernd Horn. C’est l’officier E. L. M. « Tommy » Burns qui pousse ardemment pour la création d’une unité de parachutiste en prenant exemple sur les prouesses des troupes allemandes. Contrairement à plusieurs de ses collègues, Burns était très progressiste en matière militaire et vit rapidement les avantages qu’une telle unité pourrait avoir pour le Canada.
De 1940 à la création du 1er Bataillon Canadien de parachutistes, en juillet 1942, Burns avance plusieurs arguments pour la constitution de son unité. Notamment, il présente le déploiement des parachutistes comme la façon la plus rapide pour envoyer des troupes en cas d’une invasion allemande sur le territoire canadien. C’est ainsi sous cette perception qu’un premier groupe de 26 officiers et de 590 soldats est recruté pour devenir des parachutistes.
Néanmoins, l’argument de la défense nationale ne quitte pas la perception de ces premiers parachutistes lorsqu’ils sont tour à tour envoyés aux États-Unis et en Grande-Bretagne pour s’entraîner. Ce n’est qu’en 1943, lorsque les parachutistes canadiens sont solidement ancrés en Grande-Bretagne, qu’il est considéré de les déployer pour combattre en Europe. À ce moment, l’unité canadienne s’attache formellement avec le British 6th Airborne Division.


L’enrôlement de Clarence Lapierre
C’est dans ce contexte que Clarence Lapierre fait ses débuts en tant que parachutiste. Lapierre s’enrôla dans l’infanterie canadienne le 21 janvier 1943 et complète son entraînement de base quelques mois plus tard, en Ontario. Comme de nombreux membres de l’infanterie canadienne, Lapierre est par après envoyé en Grande-Bretagne pour poursuivre son entraînement.
S’il fut d’abord muté vers différentes unités d’infanterie, l’objectif de Lapierre est de devenir parachutiste. Pour de nombreux jeunes hommes, les unités de parachutistes représentaient une occasion excitante de sortir du Canada et de vivre des aventures. Lapierre étant déjà en Grande-Bretagne depuis longtemps, c’est peut-être plutôt en les côtoyant qu’il décida de les rejoindre ? Après tout, les membres du 1er Bataillon étaient perçues très positivement, comme l’expliqua le soldat Jeff B. Kelly :
« Then I heard about the paratroopers. They were the best. We heard about them and they were the tops in the army. They were the only outfit that I wanted to get into. I just wanted to parachute and I knew that they were the best. » (Gary C. Boegel, Boys of the Clouds, p. 8).
Pour obtenir cette réputation, l’entraînement est toutefois plus que rigoureux ! Dans son témoignage, le lieutenant Bill Jenkins explique que la première sélection se faisait selon l’endurance des recrues. Il raconte ainsi que dans un premier bassin de 60 personnes, il les faisaient courir jusqu’à ce que 35 personnes s’arrêtent. Les 25 restants passèrent alors le premier round ! Évidemment, ce n’était pas terminé et l’entraînement continuait jusqu’à ce que les meilleurs sortent du lot. L’entraînement d’un parachutiste se poursuivait ainsi avec différentes épreuves herculéennes : de la course jusqu’à plusieurs sauts.

Les prouesses physiques ajoutèrent ainsi au prestige du 1er Bataillon. Il y avait d’autres facteurs, néanmoins. Le sergent Nelson N. MadDonald percevait, par exemple, que la prestance des parachutistes était une grande source d’inspiration : « […] I had witnessed a precision drill performance by a platoon of airborne soldiers and with the smartness, including the maroon beret and the highly polished jump boots, I was sold. » (Gary C. Boegel, ibid., p. 3). MacDonald ne fut pas le seul à avoir été impressionné par l’allure des membres du 1er Bataillon. Pour Charles Eliott :
« I felt that they were disciplined and had a great level of fitness. I liked the whole general make-up of the airborne soldier. There was a pride that he carried himself with. You never saw one with a cap stuck in his back pocket or his hands in his pockets. […] I guess that it was a combination of the maroon beret; the jump wings and the boots that made me want to join. » (Gary C. Boegel, ibid., p. 11).


Pour le jeune Lapierre, de nature athlétique et charismatique, il est probable que c’est cette réputation positive qui l’attire chez les parachutistes. Après tout, d’après un article de journal, Lapierre était physiquement très en forme. En effet, il jouait au baseball et au rugby durant son adolescence. De même, le jeune homme fut fréquemment décrit comme étant très populaire dans sa ville natale. Peut-être ainsi qu’il s’identifia d’emblé avec la culture des unités de parachutistes ?
Comme de fait, Lapierre rejoint le 1er Bataillon le 17 janvier 1944 après s’être porté volontaire. À l’instar des autres parachutistes canadiens, Lapierre fait son entraînement de base à Ringway, en Grande-Bretagne, jusqu’au 3 mars 1944. Par la suite, il continue à se perfectionner en vue de sa première opération sur le terrain : le débarquement de Normandie.
En Normandie
Le 1er Bataillon est envoyé en Normandie dans la nuit du 5 au 6 juin 1944. Sa mission est alors de perturber les défenses allemandes en vue du débarquement. De fait, les trois compagnies se font octroyer différents objectifs : la capture d’un point, la destruction d’un autre ou handicaper les troupes ennemies le plus possible !
Il va sans dire que les conditions du saut n’étaient pas idéales. Si la nuit offrait une belle couverture, elle compliqua aussi les choses ! Sur le terrain, les soldats étaient éparpillés et au plein centre de l’action. À la merci des tirs ennemis, plusieurs parachutistes furent touchés.
C’est dans ce contexte que le jeune Lapierre perd la vie. Selon les sources disponibles, il semblerait que Lapierre faisait partie de la compagnie B lors de son déploiement. L’objectif de sa compagnie était alors de détruire un pont au-dessus de la rivière Dives et de retenir tout renforcement allemand d’arriver à leur position. Nous ne savons pas quand exactement Lapierre fut touché, mais nous savons qu’il réussit à atterrir à l’est de la ville de Caen. Lapierre ne décéda pas sur le coup : selon les informations envoyées à ses parents, il aurait succombé à ses blessures le 7 juin 1944, ce qui indique qu’il aurait été probablement recueilli par ses camarades avant de décéder.
Lapierre fait partie des nombreux parachutistes qui perdirent la vie le 6 juin. Au total, sur les 543 parachutistes déployés en Normandie, 21 furent tués et 94 furent blessés. Malgré les immenses pertes, les hommes du Bataillon purent au moins se consoler sur le grand succès de leur mission.
Le Bataillon après Lapierre
La réussite du Bataillon en Normandie convainquit l’État-Major canadien de continuer le déploiement des parachutistes ailleurs en Europe. Les parachutistes continuèrent ainsi à se démarquer en France et aux Pays-Bas jusqu’à la fin de la guerre. Après celle-ci, le Bataillon fut toutefois dissous.
Le programme des parachutistes canadiens durant la Deuxième Guerre mondiale eut plusieurs embûches et il prit du temps avant d’être formellement adopté. De même, malgré les grandes compétences de ses hommes et les faits d’armes accomplies durant la guerre, le programme fut rapidement oublié par après : « we called ourselves the forgotten battalion », comme raconta le lieutenant Ken Arril (Bernd Horn, p. 36). Ce n’est qu’à partir de la fin des années 1960 que le Canada reprit le programme des parachutistes, en citant en exemple les exploits du 1er Bataillon. Aujourd’hui, le 3e Bataillon du Royal Canadian Regiment est la seule unité régulière de parachutistes.
Si la ville de Owen Sound peut se targuer d’être le lieu d’origine de l’as Billy Bishop, elle peut aussi se rappeler du sacrifice de tous ses autres citoyens. L’histoire de Lapierre n’est malheureusement pas hors du commun : des milliers d’autres jeunes personnes partirent pour l’Europe pour ne plus jamais revenir. Se souvenir de nos militaires revient aussi à se souvenir de nos disparus.
À droite : Un article de journal annonçant le décès de Lapierre en Normandie.
Sources :

- « 1st Canadian Parachute Battalion le Jour J », Centre Juno Beach/Juno Beach Centre.
- « LaPierre, Clarence David », Black Canadians Veterans Stories (en anglais).
- « Private Clarence D Lapierre », ParaData (en anglais).
- « Private Clarence David Lapierre », 1st Canadian Parachute Battalion Virtual Museum (en anglais).
- « Soldat Clarence David Lapierre », Gouvernement du Canada/Government of Canada.
Pour une approche plus académique :
- Gary C. Boegel, Boys of the Clouds: An Oral History of the 1st Canadian Parachute Battalion, 1942-1945, Victoria, Trafford, 2005 (en anglais).
- Bernd Horn, « “A Question of Relevance”: The Establishment of a Canadian Parachute Capability, 1942–1945 », Canadian Military History, vol. 8, no. 4, 1999, pp. 27-38.
- Bernd Horn & Michel Wyczynski, Tip of the Spear: An Intimate Account of 1 Canadian Parachute Battalion, 1942-1945. A Pictorial History, Toronto, Dundurn Press, 2002.
Cet article fut publié dans le cadre de notre exposition sur le Jour J : Quand le jour se lève. Consulter notre exposition pour en apprendre davantage sur l’histoire des Canadiens débarqués en Normandie !
