Lorsqu’on s’intéresse à l’histoire de la participation canadienne à la Grande Guerre de 1914-1918, on passe souvent outre le fait que des membres des communautés autochtones ont été partie prenante de ce conflit. Il est intéressant de brosser un portrait de la participation des Premiers Peuples sur le plan du recrutement, du rôle des membres des communautés, ainsi que des discriminations subies par ceux-ci.
Le recrutement
Lors du déclenchement du conflit, le recrutement des volontaires issus des communautés autochtones a été majoritairement refusé. La majorité d’entre eux ont été rejetés par le processus de recrutement destiné à former le Corps expéditionnaire du début de la guerre. Cela s’explique en grande partie en raison du fait que l’armée n’était pas préparée à recevoir un volontariat autochtone. Ces derniers provenant de communautés éloignées, parlant différentes langues et étant peu familiers avec l’administration publique, ils se heurtaient plus fréquemment à des refus. Les divers préjugés raciaux de l’époque ont aussi participé à cette situation puisque les volontaires des Premières Nations ont été perçus comme de potentiels soldats de moindre qualité.
Par la suite, à mesure que le conflit s’est enlisé sur le Vieux Continent, on assiste à une plus grande ouverture face aux membres des peuples autochtones qui souhaitent prendre part à la Grande Guerre. La nécessité d’apporter de plus en plus de troupes sur le front a fini par convaincre l’État-major de l’armée de ne pas se priver de ces volontaires. On rejoint même directement les réserves au moyen d’agents des Indiens pour encourager l’enrôlement. La réserve iroquoise des Six-Nations en Ontario ainsi que celle de Tyendinaga dans la baie de Quinte sont les deux à avoir fourni le plus grand nombre de volontaires. Cette pratique s’est déroulée dans plusieurs réserves durant l’année 1917. Les chiffres de l’armée canadienne montrent que plus de 4000 membres des Premières Nations ont participé à la guerre. Toutefois, les historiens s’entendent pour dire que ce nombre est supérieur en raison des nombreux soldats qui se sont enrôlés sans que leur statut d’autochtone ait été pris en compte. On pense notamment à des autochtones qui n’ont pas déclaré leur statut ou encore à certains qui ont volontairement caché ce dernier.
Leur rôle
Le rôle des soldats autochtones au sein des troupes canadiennes envoyées au front a déjà été analysé par le passé par divers historiens, tels que Robert J. Talbot et Timothy C. Winegard (voir la bibliographie à la fin). Il ressort de ces analyses qu’il n’y avait pas d’unités strictement issues des Premières Nations. Ceux-ci ont plutôt été parachutés dans divers bataillons. Le cas particulier du 107e bataillon ressort en raison du fait que 500 soldats autochtones s’y sont retrouvés. Celui-ci ne s’est toutefois pas retrouvé directement sur la ligne de front, étant resté en Grande-Bretagne durant une bonne part du conflit. De plus ce bataillon s’est retrouvé commandé uniquement par des officiers blancs malgré la proportion importante de soldats autochtones qui l’a composé.
Divers soldats autochtones se sont illustrés sur le plan individuel durant ce conflit. On peut penser, par exemple, au tireur d’élite d’origine Ojibwa Francis Pegahmagabow, qui a été décoré de la Médaille militaire ainsi que de deux barrettes, ce qui représente un honneur hautement prestigieux. On peut aussi penser à Clear Sky, originaire de Kahnawake au Québec, qui a été décoré de la Médaille militaire pour sa bravoure au combat. Enfin, on ne peut passer outre le cas d’Henry Norwest, un Cri-Métis qui a été le tireur d’élite le plus efficace de tout l’Empire britannique durant la Grande Guerre comptant plus de 115 soldats ennemis tués. Ces cas montrent bien que des soldats canadiens autochtones sont parvenus à s’illustrer sur le front durant la Grande Guerre.
La discrimination
Comme évoqué précédemment, les soldats autochtones de la Première Guerre mondiale ont fait face à divers préjugés et discriminations concernant le processus de recrutement initial. Au début de la guerre, le gouvernement canadien et ses alliés craignaient que les autochtones s’adonnent à des scalps ou à des séances de torture sur le champ de bataille, ou encore qu’ils commettent d’autres actes jugés non civilisés. Ces craintes s’appuyaient sur une méconnaissance de ces peuples et de leurs coutumes ainsi qu’à une discrimination basée sur des préjugés raciaux. Cependant, cette situation ne s’est pas réglée avec l’ouverture qui s’en est suivie en 1917. Le manque de soldats volontaires a forcé la main du gouvernement canadien. De fait, ce dernier a laissé les volontaires autochtones venir gonfler ses rangs afin de combler un recul du volontariat canadien.
De nombreux préjugés ont persisté tout au long de la guerre face aux soldats issus des Premières Nations. Cela se constate, par exemple, par le fait que les soldats autochtones ne pouvaient agir en tant qu’officiers pendant cette guerre – comme nous l’avons vu avec l’exemple précédemment cité du 107 bataillon. Cette situation permet de comprendre que bien que les autochtones se sont vu permettre de participer à l’effort de guerre, ils sont demeurés loin des prises de décision.
Malgré cela, la majorité des témoignages autochtones montrent que ceux-ci estiment qu’une fois qu’ils ont quitté le Canada, les enjeux raciaux et discriminatoires ont radicalement diminué. L’ouvrage Les Autochtones et l’expérience militaire canadienne : une histoire met de l’avant des témoignages de soldats autochtones qui ont servi durant la guerre. Parmi eux, on retrouve celui de Charles Bird qui souligne qu’il n’a été témoin d’aucune discrimination au front. Ce témoignage s’inscrit dans une tendance où il est intéressant de voir que le contexte de la Grande Guerre a su mobiliser les différents groupes au sein d’un objectif commun et réduire les enjeux de discrimination envers les membres de Premières Nations.
Contribuer à l’effort de guerre
La participation des autochtones et la manière qu’ils ont laissé leur marque durant ce conflit donnent un portrait d’individus qui sont parvenus à passer outre des enjeux de discrimination pour rejoindre l’effort de guerre. Il demeure que le portrait de ces soldats est méconnu du grand public et qu’il est intéressant à mettre de l’avant afin de mieux comprendre quels a été le contexte et le rôle des Premières Nations durant la Première Guerre mondiale.
Photo de couverture : Un mix de soldats autochtones et de soldats blancs, ces hommes font partis des membres subalternes de la compagnie A du 107 Battalion (source : Gouvernement du Canada).
Article rédigé par Charles Taillon, candidat à la maîtrise en histoire à l’Université Sherbrooke, pour Je Me Souviens.
En complément :
Notre activité Défis d’après-guerre traite des thèmes similaires relevés par l’historien Charles Taillon. Dans cette activité pédagogique, l’enseignant-e et ses élèves analysent des textes traitant de la façon dont différentes communautés ont dû surmonter plusieurs défis au lendemain de la Première Guerre mondiale. Nous vous invitons ainsi à y jeter un oeil en cliquant sur l’image !
Sources :
- Whitney Lackenbauer et al., Les Autochtones et l’expérience militaire canadienne : une histoire, Ottawa, Ministère de la Défense nationale, 2010, 189 p.
- Maria Roxana Samson, « Les Autochtones, la Milice et le département des Affaires indiennes dans le processus de recrutement pendant la Grande Guerre 1914-1916 », Université du Québec en Outaouais, mémoire de maîtrise en sciences sociales, 2021, 138 p.
- Robert J. Talbot, « « It Would Be Best to Leave Us Alone »: First Nations Responses to the Canadian War Effort, 1914-18 », Revue d’études canadiennes, vol. 45, no. 1, 2011, pp. 90-120 (en anglais).
- Timothy C. Winegard, For King and Kanata: Canadian Indians and the First World War, Winnipeg, University of Manitoba Press, 2012, 240 p. (en anglais).
- Timothy C. Winegard, Indigenous Peoples of the British Dominions and the First World War, New York, Cambridge University Press, 2012, 312 p. (en anglais).