Quand on pense aux années 1930-1940, ce sont les événements européens qui nous viennent d’abord à l’esprit. Cependant, la situation au Canada, n’a pas été facile non plus. En effet, le Canada a vu une montée de l’antisémitisme, donc la haine de la population juive, après la crise économique de 1929. Pour exemplifier cette montée de l’antisémitisme, nous proposons ainsi d’expliquer, dans ce court article, l’immigration juive, leur internement dans l’Est du pays et la montée du nazisme au Canada.
L’immigration juive au Canada
La politique d’immigration canadienne a toujours été sélective racialement et égoïste économiquement. La situation spécifique du début des années 1930 et les conséquences de la crise économique qui sévissaient ont réduit davantage les opportunités d’immigration. La politique sur l’immigration du gouvernement King était centrée sur un but : préserver l’unité du Canada. Mackenzie King, alors premier ministre du Canada, avait compris que de permettre à des réfugiés juifs de s’établir au Canada mettrait en péril une future réélection, tandis que la politique du gouvernement fédéral en termes d’immigration juive était caractérisée par la peur d’une montée de l’antisémitisme au Canada. Ces idées étaient partagées par une importante partie de la population canadienne. La présence des Juifs a donc été restreinte dans quelques domaines et par des quotas. Le gouvernement a, par exemple, demandé aux compagnies ferroviaires de ne pas accepter les fermiers juifs parce qu’il ne croyait pas qu’ils étaient véritablement fermiers et qu’ils s’installeraient plutôt en ville, là où les taux de chômage ne baissaient pas.
L’expérience d’immigration a également été influencée par la situation en Allemagne. Face à la montée d’Hitler au pouvoir, le Canada se replie sur lui-même, ne souhaitant pas s’impliquer dans les problèmes européens. Dès 1940, donc rapidement après le début de la Seconde Guerre mondiale, des discussions ont débuté entre le Royaume-Uni et le Canada pour que celui-ci prenne en charge les étrangers internés, les prisonniers de guerre et les enfants évacués. Le Royaume-Uni a d’abord demandé au Canada d’accueillir 9000 « ennemis étrangers » et prisonniers de guerre allemands, ce que le gouvernement canadien a rejeté d’emblée.
L’exemple le plus connu des difficultés des Juifs à immigrer au Canada est celui du Paquebot Saint-Louis, sur lequel voyageaient 907 juifs allemands qui cherchaient à fuir les persécutions nazies en 1939. Les passagers avaient d’abord été refoulés à Cuba, dans quelques pays en Amérique du Sud et aux États-Unis avant de se diriger vers Halifax, où ils se font refuser l’entrée. Finalement, le paquebot retourna en Europe.
Le passeport de Edgar Strauss, 1939-07-31
La première page porte un J estampillé à l’encre rouge pour désigner le sujet comme juif. Le nom du sujet a été modifié pour inclure le deuxième prénom Israël comme autre mesure d’identification. La deuxième page a une photographie en noir et blanc du sujet. La signature sous la photo porte également le deuxième nom d’Israël. La troisième page contient la description physique du sujet et énumère son occupation en tant que marchand. Passeport délivré le 31 juillet 1939. Les pages 6-7 contiennent plusieurs tampons nécessaires pour quitter l’Allemagne et entrer en Angleterre.
Edgar a obtenu ce passeport et les visas nécessaires pour quitter le pays. Il a voyagé en Angleterre, arrivant à Harwich, où il a travaillé dans un atelier d’usinage. Après la bataille de Dunkerque en juin 1940, le Royaume-Uni a interné tous les citoyens allemands en tant qu’étrangers ennemis. Edgar a d’abord été envoyé à l’île de Man, puis dans des camps d’internement au Canada. Il a passé du temps au Camp T à Trois-Rivières, Québec; Camp B, au Nouveau-Brunswick, et Camp I, Île aux Noix, Québec. Il est libéré en 1942 et s’installe à Montréal.
Les camps d’internement
Lorsqu’ils arrivent au Canada, les réfugiés juifs sont divisés dans plusieurs camps à travers l’Est. L’internement, bien qu’il ait eu lieu en pays ami, est une expérience traumatisante pour beaucoup des réfugiés juifs. En effet, plusieurs d’entre eux avaient connu les camps de concentration nazis et ont eu l’impression d’être trahis par ceux qu’ils considéraient comme des alliés.
Dans les camps d’internement canadiens, le quotidien donne l’impression d’une vie urbaine. On y retrouve des écoles, des cafés et des lieux de culte, par exemple. Les organisations juives canadiennes et les groupes de charité ont donné, aux internés, l’équipement nécessaire au maintien de cette illusion de vie normale. Le sport et les arts ont aussi une place importante dans le quotidien des Juifs internés au Canada.
Étonnement, l’internement a même eu quelques retombées positives pour certains réfugiés. En effet, ceux qui souhaitaient s’établir en Amérique du Nord après la guerre avaient la possibilité d’apprendre et de parfaire leur anglais. Le camp organisait également des écoles qui donnaient une éducation académique, religieuse et technique aux détenus et réfugiés. Seulement dans le camp de Sherbrooke, on offrait sept programmes d’éducation différents. Les internés du camp de l’île Ste-Hélène, quant à eux, ont éventuellement eu l’opportunité de passer les examens d’entrée à l’université McGill afin de pouvoir entrer à l’université après leur remise en liberté.
Hitler persecuted them: Canada jailed them, 1980-10-18
Ce document a été donné par Eudice Bauer, l’épouse de Gustav Bauer, qui a également été interné dans un camp d’internement canadien. Gustave est né en 1924 à Hambourg, en Allemagne, et était en vacances au Danemark avec sa mère Anna et son frère Werner lorsque les lois de Nuremberg de 1935 ont été adoptées. Ils ont décidé de ne pas retourner en Allemagne et sont allés vivre chez la sœur d’Anne à Bruxelles, en Belgique. Le père de Gustav, Manfred, a été arrêté pour trafic d’argent hors d’Allemagne et a passé les deux années suivantes en prison. Manfred a rejoint sa famille à Bruxelles lorsqu’il a été libéré de prison en 1937. En 1940, juste avant que l’Allemagne n’occupe la Belgique, tous les hommes allemands nés avant 1924 ont reçu l’ordre de s’enregistrer. Manfred et Werner ont été envoyés en France, où ils ont été internés. En route pour la France pour les rejoindre, Gustav et sa mère sont arrêtés et envoyés en Angleterre sur le dernier bateau à quitter la Belgique avant son occupation. En Angleterre, Gustav a passé du temps à Folkestone, à la prison de Pentonville, à Kempton Park et à Douglas, sur l’île de Man. Il était en Angleterre du 19 mai au 4 juillet 1940. Le 4 juillet 1940, il a été envoyé au Canada sur le S.S. Sobiesky avec d’autres ressortissants allemands comme prisonniers de guerre. Il était au Camp T, à Trois-Rivières, Québec, de Du 15 juillet au 12 août 1940. Il est ensuite transféré au Camp B, au Nouveau-Brunswick, puis en 1941, il est envoyé avec d’autres internés juifs au Camp I, Île aux Noix, Québec. Il a été parrainé pour être libéré en 1942 et sa mère l’a rejoint au Canada en 1947. Son père a été déporté de Drancy à Majdanek en 1943. Son frère, Werner a survécu, est arrivé en Palestine et est venu au Canada en 1948 pour le mariage de Gustav. Il a fini par devenir professeur d’hébreu à Ottawa.
Le document contient un article sur les camps d’internement au Canada, rédigé par un ancien interné.
Toutefois, dans certains autres camps au Canada, la situation est beaucoup plus difficile. En Ontario, plusieurs des réfugiés sont envoyés dans le camp de Red Rock. Parmi ceux-ci, une cinquantaine de personnes s’identifient comme Juifs. Toutefois, ce camp sert aussi principalement de centre de détention pour des Allemands pronazis. Dans ce camp, plusieurs des gardes canadiens, qui étaient des vétérans de la Grande Guerre s’étant engagés pour la Seconde Guerre mondiale, mais à qui on a refusé le service actif, offraient des récompenses et de l’argent aux détenus qui étaient prêts à leur créer ou procurer des insignes et symboles nazis. Ainsi, une petite manufacture se met en place dans le camp, où l’on pouvait passer une commande pour un emblème nazi. Les nazis perpétraient également ce qu’ils considéraient comme des « blagues pratiques ». Par exemple, lorsque les Juifs reçoivent le privilège de recevoir de la nourriture kasher lors du Yom Kippur, certains nazis qui travaillaient dans les cuisines la remplacent par du porc frit.
La montée du nazisme canadien
Les pronazis ne sont pas présents seulement dans les camps d’internement canadiens. En effet, les mouvements nazis au Canada, que différentes organisations allemandes ont aidé à mettre en place, comme la Deutscher Bund Canada (l’Alliance allemande du Canada), se concrétisent en des clubs pro-Hitler, des abonnements à de la littérature allemande ou avec de la publicité pour les événements nazis en Allemagne. L’implication du NDSAP au Canada est difficile à calculer puisque l’aide allemande venait rarement de façon monétaire, limitant de façon importante le support donné. Cependant, comme la propagande constituait une des grandes lacunes de la Deutscher Bund Canada, le gouvernement nazi fournissait une aide nécessaire à la réussite de leur mouvement.
Si le Canada anglais possédait ses propres mouvements pronazis, il n’est, nulle part, plus fort qu’au Québec. En effet, l’entre-deux-guerres, au Québec, est marqué par un renouveau du nationalisme canadien-français qui découle, entre autres, de la crise économique. Le mouvement fasciste antisémite au Québec s’est organisé autour de la personnalité et des idées d’Adrien Arcand. L’idéologie défendue par Arcand et ses chemises bleues s’est inspirée, entre autres, de l’ultranationalisme antidémocratique et raciste développé par Lionel Groulx. Leur antisémitisme prônait un retrait aux Juifs de leurs droits civils et politiques. Les chemises bleues d’Arcand se donnaient comme mission de rétablir le Québec dans la crise économique internationale qui sévissait. Rassemblées dans le Parti national social chrétien, les chemises bleues d’Arcand ont pu rejoindre un grand public grâce à un large éventail de publications à leur disposition et leurs nouvelles ont été diffusées dans des journaux à grand tirage comme Le Devoir et La Presse.
Berstl, Norbert – Under Consideration, 1942
Acheté par Kurt Anstreicher M.D. dans un camp d’internement. Trouvé dans ses papiers personnels après sa mort en janvier 2002.
Kurt Anstreicher, M.D est né en 1911 en Autriche et a étudié la médecine à la faculté de médecine de l’Université de Vienne. Il y travaillait lorsque les Allemands ont annexé l’Autriche et a été contraint de quitter son poste à cause de la législation anti-juive. Il trouva refuge en Grande-Bretagne mais y fut fait prisonnier dès le début de la guerre. Il est envoyé au Canada pour être interné au camp Farnhman dans la province de Québec. À Farnham, il est devenu le médecin du camp. On pense qu’il a acquis ces dessins directement auprès de l’artiste Norbert Berstl à Farnham.
Conclusion
Pour les réfugiés juifs, le Canada ne représentait qu’un point sur la carte, un pays dont les portes étaient fermées et le seraient toujours. Quand Auschwitz devint un camp d’extermination, on nomma l’endroit où les possessions des Juifs étaient entreposées « Canada ». « Canada » représentait, pour les Juifs, « une abondance de tout, hors limite et étroitement surveillée »[1].
[1] Tel que cité dans le livre de Erna Paris : Jews, An Account of Their Experience in Canada (1980), p. 58.
Photo de couverture : Adrien Arcand, chef du Parti de l’unité nationale donne un discours durant un rassemblement au centre Paul-Sauvé en 1965 (archives BAnQ).
Article rédigé par Rosalie Racine, candidate au doctorat en histoire à l’Université de Montréal, pour Je Me Souviens. Images fournies par le Musée de l’Holocauste Montréal, que nous tenons à remercier grandement pour leur collaboration !
Sources :
- « Camp History & Information », New Brunswick Internment Camp Museum (en anglais).
- « Internement au Canada », L’encyclopédie canadienne/The Canadian Encyclopedia.
- « Réfugiés juifs de 1939 : des excuses officielles de Trudeau le 7 novembre », Radio-Canada.
Pour une approche plus académique, nous vous recommandons les livres suivants :
- Irving Abella & Harold Troper, None is too many: Canada and the Jews of Europe, 1933–1948, Toronto, Key Porter, 2000, 340 p. (en anglais).
- Jean-François Nadeau, Adrien Arcand, führer canadien, Montréal, Lux, 2010, 408 p.
- Jonathan F. Wagner, Brothers Beyond the Sea: National Socialism in Canada, Waterloo, Wilfrid Laurier University Press, [2012] 1981, 190 p. (en anglais).
- Ernest Robert Zimmermann, The Little Third Reich on Lake Superior: A History of Canadian Internment Camp R, Edmonton, University of Alberta Press, 2016, 346 p. (en anglais).