Durant la Seconde Guerre mondiale, la position des Premières Nations quant à l’enrôlement était plutôt mitigée. Certains pensaient que ce conflit était celui des blancs et ne les concernait pas. D’autres pensaient qu’en s’enrôlant, cela leur permettrait d’obtenir des avantages et de donner une plus grande poigne pour les revendications autochtones par la suite. Malgré cette bonne volonté à s’impliquer, les politiques au sein des différentes organisations de défense du Canada ne sont pas adaptées à recevoir des hommes non-blancs. La majorité des soldats autochtones sont dirigés vers l’Armée Canadienne, refusés à la marine ou au corps d’aviation. Ces deux organisations n’acceptent que les gens d’ascendance blanche jusqu’en 1942-1943. Un estimé de 8 500 soldats d’origines autochtones a rejoint les forces armées durant la Seconde Guerre mondiale.
Parmi ceux s’étant enrôlés, un petit groupe d’individus de différentes communautés autochtones canadiennes a été redirigé lors de l’arrivée en Angleterre afin de se joindre à une mission secrète à Londres. La communauté Cri a été ciblée rapidement, de par la capacité de la majorité d’entre eux de parler autant l’anglais que l’une des 5 branches (dialectes) du langage cri, couramment appelé le Nehiyaw Win. Ces hommes sont alors assignés à l’une des missions les plus importantes du conflit.
Ces hommes sont donc recrutés pour leur bilinguisme afin de devenir des transmetteurs par code pour l’armée alliée. Les forces de l’Axe ne connaissant aucunement les langues autochtones d’Amérique du Nord, l’usage de ces dialectes afin de communiquer permettait une imperméabilité totale. Il est d’ailleurs important de mentionner que les langues autochtones perdaient des volumes importants de locuteurs en raison des pensionnats et politiques de colonisation mises en place à travers le Canada durant la première moitié du XXe siècle. De cette manière, les informations d’attaques, de déplacements et de stratégies étaient hors d’atteinte et permettaient un avantage robuste pour les forces Alliées.
La procédure était plutôt simple. Un transmetteur cri traduisait les informations de l’anglais vers le langage Cri avant de le transmettre à l’autre poste où un autre transmetteur cri re-traduisait vers l’anglais. Ces messages contenaient différentes informations vitales, dont le nombre d’avions Mustang (appelé pakwatastim signifiant cheval sauvage) ou de l’avion Spitfire (appelé iskotew signifiant feu). Les termes exacts n’existaient pas dans la langue crie et les traducteurs ont donc dû ré-utiliser des mots déjà existants.
Les Cris n’étaient pas les seuls autochtones ciblés afin d’être codeurs. Les nations Ojibwe, Navajo et Comanche sont aussi ciblées et employées dans ce type d’entreprise. Aux États-Unis, l’implication Navajo est bien connue et popularisée dans l’histoire populaire. Au Canada, l’implication Cri est beaucoup moins connue, ces hommes ayant été assermentés à garder le secret de leur implication. En 1963, le gouvernement canadien reconnaît l’opération de codage cri lorsque les documents sont alors déclassifiés. Par contre, ce n’est que récemment, suite aux témoignages des proches du soldat Charles Tomkins, que le public commence réellement à découvrir l’importance de l’implication de ces hommes en tant que codeurs au sein des forces durant la Seconde Guerre mondiale.
Charles Tomkins
L’histoire de Charles Tomkins a récemment été mise en valeur grâce à la production d’un mini-documentaire relatant ses exploits (Cree Code Talker par Alex Lazarowich). Métis d’Alberta, Charles “Checkers” Tomkins était un vétéran de la Deuxième Guerre mondiale. Suite à son arrivée en Grande-Bretagne, il rejoint la 2e Brigade blindée canadienne. Rapidement, il reçoit une convocation secrète de la part du Haut Commandant canadien posté à Londres. De nombreux autochtones de différentes nations sont alors convoqués à cette réunion. Tomkins sera alors jumelé à un autre Cri et se livre à des exercices de traduction. Il sera alors entraîné par l’armée canadienne afin de devenir transmetteur de code. Suite à son entraînement, il rejoint la US 8th Air Force afin de servir de transmetteur de code. Il sera posté en Angleterre, en France, en Allemagne et en Hollande (Pays-Bas). Son rôle de transmetteur de code ne sera révélé que bien plus tard auprès de sa famille. Seul l’un de ses frères connaissait son rôle au courant de la vie de Charles Tomkins. Le reste de la famille découvre son rôle à la suite de son décès en 2003.
Conclusion
Malheureusement, les avantages que les soldats autochtones pensaient pouvoir obtenir en s’impliquant au sein de l’armée et de l’effort de guerre n’ont jamais été obtenus. Dans les années suivant la guerre, les conditions pour les nations autochtones ne se sont pas réellement améliorées et de nombreux vétérans ont ressenti un abandon de la part du pays pour lequel ils se sont battus.
Photo de couverture : Un texte en processus de traduction (source : Ferrous Büller/Flcrk).
Article rédigé par Aglaé Pinsonnault pour Je Me Souviens.
Sources :
- « Charles Tomkins », L’Encyclopédie Canadienne/The Canadian Encyclopedia.
- « Transmetteurs en code cri », L’Encyclopédie Canadienne/The Canadian Encyclopedia.
- « Transmetteurs en code cri », Histoire Canada/Canada’s History.
Le documentaire court Cree Code Talker dirigé par le directeur Alex Lazarowich en 2016 est aussi disponible gratuitement via le site internet de la National Screen Institute. Et finalement, pour un texte avec une approche plus académique :
- William Meadows, « Honoring Native American Code Talkers: The Road to the Code Talkers Recognition Act of 2008 (Public Law 110-420) », American Indian Culture and Research Journal, vol. 35, no. 3, 2011, pp. 3-36 (en anglais).