Certaines personnes au Canada ont peut-être été surprises d’apprendre qu’avec la montée des tensions précédant l’invasion russe en Ukraine, des troupes canadiennes stationnées en Ukraine ont été relocalisées ailleurs. Que faisaient les membres des Forces armées canadiennes en Ukraine? Comment s’est déroulée leur mission? Pour en savoir plus, nous avons discuté avec la capitaine Nathalie Gareau, déployée en Ukraine d’avril à novembre 2019.
Opération Unifier – Une mission d’instruction
Le déploiement de troupes canadiennes en Ukraine a commencé en 2015 sous le nom d’opération UNIFIER. Des groupes de 200 militaires, qui se relayaient tous les six mois, étaient envoyés en Ukraine dans le cadre d’une mission d’instruction visant à partager les meilleures pratiques avec les forces armées ukrainiennes. Cette mission a été mise en place à la demande du gouvernement ukrainien.
À partir de 2015 jusqu’à la suspension de l’opération en février 2022, les troupes canadiennes jouaient un rôle de premier plan dans la coalition internationale qui a formé plus de 30 000 militaires des forces armées ukrainiennes. Les cours offerts portaient entre autres sur l’entraînement tactique, l’instruction de génie de combat et la formation médicale, et ils visaient à mettre sur pied un corps de sous-officiers.
Les sous-officiers commencent leur carrière comme soldats ordinaires et obtiennent leur titre au fil d’années d’expérience et de promotions. Les officiers de direction, quant à eux, ont souvent fait des écoles ou des établissements d’instruction militaire, ont des diplômes et ont commencé leur carrière dans l’armée comme officiers, un rang plus élevé que les sous-officiers, et assument des rôles de gestion. Cela peut paraître anodin, mais au Canada, les jeunes officiers peuvent être encadrés par des sous-officiers techniquement moins gradés mais plus expérimentés. Cela rend nos forces armées flexibles et modernes. Le développement du rôle des sous-officiers faisait partie du partage des meilleures pratiques avec les forces ukrainiennes.
Les Forces armées canadiennes ont considéré la mission comme un partenariat, dont l’objectif principal était la professionnalisation, le renforcement des capacités et l’apprentissage mutuel. Au cours de l’opération Unifier, les Canadiens et les Ukrainiens partageraient leurs connaissances et leurs meilleures pratiques afin d’améliorer l’interopérabilité (la capacité des groupes militaires à opérer en conjonction les uns avec les autres). Les Canadiens étaient là pour aider les Ukrainiens à institutionnaliser ce qu’ils ont appris au cours des années de combat qui les ont précédés. Toutes les personnes déployées ont vu les militaires ukrainiens devenir une force de combat plus disciplinée, plus agile et plus efficace.
Entrevue avec la capitaine Nathalie Gareau
La capitaine Nathalie Gareau a servi dans l’armée pendant un total de 12 ans. Elle fait partie d’un régiment de réserve, le Royal Montreal Regiment de Westmount, au Québec. Elle a choisi de s’enrôler dans la Réserve parce qu’elle aime « l’esprit d’équipe et le sentiment de camaraderie qui règnent dans l’armée », et parce que « le système de promotion est très simple; l’avancement professionnel est plus encadré » que dans le monde civil. Au civil, elle a travaillé comme traductrice et passé une année en Corée. Actuellement, elle est conseillère en carrières militaires au centre de recrutement de Montréal, où elle fait passer des entrevues et des tests d’aptitudes aux personnes qui veulent s’enrôler dans l’armée.
Comment en es-tu arrivée à être déployée en Ukraine?
« J’ai donné mon nom pour un déploiement, explique-t-elle. La plupart des postes de déploiement sont destinés au personnel de la force régulière et certains aux réservistes, mais parfois, lorsqu’ils ne peuvent pas remplir les postes de la force régulière, ils envoient l’information aux régiments de réserve pour voir s’ils peuvent remplir le poste. J’ai obtenu un déploiement assez rapidement parce que j’ai spécifiquement déclaré que je voulais être déployé, mais il serait également possible de se voir offrir un poste même sans donner son nom » si vous remplissez les conditions requises. Toutefois, comme les réservistes ont souvent un emploi à temps plein dans le monde civil, « nous avons toujours le choix de partir ou non, contrairement à la force régulière ». Et pourquoi s’est-elle portée volontaire? Elle voulait être déployée pour se concentrer davantage sur l’aspect militaire de sa carrière, dit-elle. Une mission d’instruction était parfaite pour un premier déploiement.
Comment as-tu été formée avant ton déploiement?
L’instruction préalable au déploiement était offerte à temps plein à Valcartier, au Québec, de janvier 2019 à avril 2019. Au début, « c’était plutôt général, on s’assurait que toutes nos compétences militaires de base étaient à jour… comme les premiers soins, l’entraînement à la guerre biologique, l’entraînement de prisonniers de guerre. Une bonne partie de la formation était donnée en ligne! » Après avoir mis à jour leurs compétences de base, les militaires recevaient une formation plus spécifique à leur déploiement. Parce que leur fonction en Ukraine était d’aider les Ukrainiens à perfectionner leurs programmes de formation, elle explique que « une grande partie de notre formation impliquait [de penser à] comment les cours sont élaborés au sein des forces canadiennes. » Les militaires devaient apprendre à créer des formations, puis à appliquer leurs acquis pour former les forces ukrainiennes.
Où étais-tu stationnée en Ukraine, et quelle a été ton expérience?
La capitaine Gareau et d’autres militaires de son groupe ont quitté Québec à bord d’un avion militaire en direction de Lviv, dans l’ouest de l’Ukraine, avant de passer quelques jours au Centre international de sécurité et de maintien de la paix à Starychi, en Ukraine. La plupart sont restés à la base, mais ceux qui étaient chargés de la formation et du développement (une vingtaine de personnes) se sont dispersés dans différentes écoles militaires en Ukraine, dans des villes comme Lviv, Odessa, Desna et Mykolaiv. Le capitaine Gareau et un petit groupe de militaires sont partis pour Kyïv en train.
À Kyïv, ils vivaient comme tout le monde. Tandis que les personnes restées à la base vivaient dans des logements militaires et mangeaient dans une cafétéria, pour la capitaine Gareau, « c’était comme être au Canada. Tu vas faire ton épicerie, tu cuisines entre deux tâches… c’était un peu comme travailler de la maison. Quand on avait du temps libre, le soir ou la fin de semaine, on visitait Kyïv et on essayait des restaurants, par exemple. »
Quelle a été ta première impression de Kyïv?
« En fait, j’ai été un peu surprise, parce qu’en vue de notre déploiement, on nous avait recommandé de regarder Winter on Fire, l’histoire de ce qui s’est passé en 2014 en Ukraine, quand la population a essentiellement renversé le gouvernement… Alors j’ai été étonnée, en arrivant là-bas, que ce soit comme à Montréal; on n’aurait pas pu dire que deux provinces étaient en guerre pas très loin de l’endroit où on était. J’ai trouvé ça surprenant. Tu regardes Winter on Fire et tu vois tout ce qui s’est passé, puis tu arrives à Kyïv et c’est vraiment comme n’importe quelle autre ville. Il n’y a personne avec des fusils, rien de ça, alors que tu pourrais t’y en attendre considérant l’histoire. » Il y avait toutefois quelques vestiges, se rappelle-t-elle, notamment des installations en métal qui avaient été mises en place pour bloquer les tanks. Lorsqu’elle était là-bas, ce n’étaient que des sites historiques, un rappel des bouleversements survenus cinq ans plus tôt. Aujourd’hui, ils pourraient bien être utilisés à d’autres fins.
Quelles étaient tes tâches là-bas?
Alors que d’autres groupes étaient responsables d’assurer la formation et de faire les exercices avec les soldats ukrainiens, le groupe de la capitaine Gareau était chargé du développement de l’instruction, c’est-à-dire de la conception de cours et de l’élaboration d’exercices qui permettraient de renforcer les forces de sécurité ukrainiennes et les nôtres en même temps. Dans son groupe, la capitaine Gareau dit qu’elle était principalement responsable de l’administration du personnel : « tout ce qui avait trait aux permissions, aux problèmes à la maison ou aux troubles de santé… j’étais aussi impliquée dans l’établissement du budget de notre groupe, ce que j’ai trouvé très compliqué et ennuyant, mais qui m’a appris beaucoup! » Elle dit également qu’il y avait pas mal de tâches administratives à accomplir dans l’armée.
À bien des égards, c’était comme travailler dans un bureau, car ils avaient le même horaire que les écoles d’instruction militaire et terminaient leurs journées en même temps que leurs homologues ukrainiens. En revanche, ils travaillaient 6 jours par semaine et étaient sur appel le 7e jour.
Y a-t-il un événement ou un souvenir que tu retiens de ton déploiement?
Il y en a eu quelques-uns, mais la capitaine Gareau se rappelle particulièrement celui-ci : « Lorsque j’étais là-bas, j’étais l’ambassadrice du personnel canadien aux qualifications des Jeux Invictus en Ukraine. C’est un peu comme des Olympiques pour les vétérans… il y a toutes sortes d’activités physiques pour les anciens combattants handicapés. » Elle a ajouté que son groupe a eu l’occasion de participer à quelques activités : « On a pu jouer au volleyball assis. C’est extrêmement dur. Tes fesses ne peuvent pas décoller du sol, et tu dois jouer au volleyball – en position assise! »
Dans l’ensemble, le déploiement s’est effectué somme toute normalement, et la capitaine Gareau a dit être très heureuse d’avoir vécu cette expérience et d’avoir pu côtoyer davantage les forces régulières. Elle a gardé contact avec son interprète en Ukraine, qui allait toujours bien aux dernières nouvelles.
Nous voulons remercier la capitaine Nathalie Gareau d’avoir participé à l’entrevue. Chaque déploiement des Forces armées canadiennes est différent, mais nous espérons que cet article permettra de comprendre un peu mieux à quoi cela ressemble et comment le Canada et l’Ukraine ont développé un partenariat solide et ont appris l’un de l’autre au cours des dernières années.
La chronologie suivante a été élaborée par le personnel de JMS à des fins éducatives et est basée sur les recherches effectuées dans les sources ci-dessous. La capitaine Gareau et les militaires canadiens n’ont pas été consultés lors de la création de cette chronologie.
Article rédigé par Marina Smyth pour Je Me Souviens. Traduit par Émilie Savard (https://emiliesavardtranslations.ca).
Sources:
- « Canada extends military operation in Ukraine for three years », CTV News (en anglais).
- « Canadian military trainers pulled out of Ukraine before anticipated Russian invasion: sources », CBC (en anglais).
- « Conflict in Ukraine’s Dombas: A Visual Explainer », International Crisis Group (en anglais).
- « Global Conflict Tracker », Council on Foreign Relations (en anglais).
- « Les forces armées canadiennes modernisent les grades militaires en français », Gouvernement du Canada/Government of Canada.
- « Lessons from Russia’s Operations in Crimea and Eastern Ukraine », rand.org (en anglais).
- « Opération UNIFIER », Gouvernement du Canada/Government of Canada.
- « Relations avec l’Ukraine », NATO.