Modification des habitudes alimentaires
Dès 1914, les gouvernements canadien et provinciaux se sont engagés à fournir des denrées alimentaires pour soutenir l’effort de guerre. Par exemple, le Québec a envoyé 4 millions de livres de fromage en Grande-Bretagne dans le cadre de sa contribution. Or, au fil des ans, le besoin accru de nourriture à l’étranger s’est souvent traduit par un accès limité à certains ingrédients pour les foyers canadiens. Le prix du blé a monté en flèche, ce qui en a fait un produit de luxe pour de nombreuses familles. En 1917, le gouvernement du Canada a commencé à réglementer la quantité de nourriture à laquelle avaient droit les familles canadiennes. Pour que les soldats qui combattaient outre-mer reçoivent suffisamment de denrées, la viande rouge, la farine blanche et le sucre blanc ont tous été rationnés dans le cadre de l’effort de guerre. Souhaitant réduire la consommation de certains produits de base, la Commission canadienne du ravitaillement a lancé une campagne pour inciter la population canadienne à modifier son alimentation. Manger certains produits était devenu antipatriotique et considéré comme préjudiciable pour l’effort de guerre. Conséquemment, d’autres aliments, tels que le poisson et les légumes, sont devenus de plus en plus populaires. Les « vendredis sans viande » se sont généralisés partout au pays. En 1918, il est devenu interdit d’utiliser la farine de blé. Pour aider les ménages canadiens à se conformer à ces restrictions, les journaux imprimaient des menus et des recettes de guerre qui suivaient les nouvelles directives de rationnement du gouvernement du Canada. La Commission canadienne du ravitaillement a également publié une série de livres de recettes au coût de cinq cents chacun. Un des grands favoris de ces menus : le pain de guerre. Ce genre de recettes remplaçaient souvent la farine de blé par de la farine d’avoine ou des pommes de terre en purée. D’autres invitaient à utiliser les restes ou les miettes de pain pour réduire le gaspillage.
L’économie des vivres (qui consistait à tirer le maximum des ingrédients et à éviter le gaspillage) est devenue une compétence importante pour beaucoup de personnes au Canada. En collaboration avec les Écoles ménagères provinciales, le ministère de l’Agriculture du Québec a conçu des cours de cuisine pour les femmes de toute la province. Ces cours enseignaient aux étudiantes à réduire le gaspillage alimentaire. La directrice de l’École ménagère provinciale de Montréal, Jeanne Anctil, et d’autres enseignantes ont donné des cours hebdomadaires sur la cuisine et les compétences ménagères à des femmes des quatre coins du Québec. Des milliers de femmes ont suivi ces cours pendant la guerre. Le Conseil des femmes de Montréal a également créé un pacte alimentaire, le Food Services Pledge, en vertu duquel les femmes s’engageaient à réduire la consommation et le gaspillage alimentaires dans leur famille tout au long de la guerre. Le jardinage de guerre est aussi devenu une pratique courante pour permettre aux familles d’avoir un accès facile et abordable à des légumes et à des fines herbes.
Lever des fonds grâce à la cuisine
Non seulement les livres de cuisine présentaient de nouvelles recettes qui aidaient à conserver les aliments, mais ils étaient aussi un moyen de financer l’effort de guerre. Divers groupes de femmes, notamment l’Ordre impérial des filles de l’Empire, rédigeaient et vendaient des livres de cuisine pour amasser des fonds. À Montréal, les femmes de la Westmount Soldiers’ Wives League ont publié le leur en 1915. La couverture du livre, simplement intitulé The Cook Book (« Le livre de recettes »), a été illustrée par le dessinateur du Montreal Star, Arthur G. Racey. Les profits générés par la vente du livre ont permis de soutenir les efforts de guerre de la ligue, notamment le tricot de chaussettes pour les soldats et l’assistance aux familles de soldats à Montréal.
Milice agricole
En 1915, le gouvernement canadien s’est mis à faire pression sur les fermes pour qu’elles augmentent leur production. Comme le Canada devait envoyer davantage de nourriture au front, le besoin de main-d’œuvre agricole s’est accru lui aussi. De nombreux agriculteurs avaient pu être exemptés de la conscription imposée en 1918, étant donné que leur travail était considéré comme vital pour l’effort de guerre; toutefois, la main-d’œuvre agricole n’a rapidement plus suffi, car la guerre s’étirait. Initiative de la Commission canadienne du ravitaillement, la milice agricole était un programme national qui s’adressait aux élèves du secondaire des régions urbaines. Les élèves vivaient et travaillaient dans des fermes pendant trois mois, et ils étaient même exemptés de leurs examens finaux. Les membres de la milice agricole recevaient des uniformes de style militaire et on leur décernait des médailles de bronze à la fin de leur service. La promotion de la milice agricole s’est faite dans de nombreux journaux canadiens, dont La Gazette de Montréal. Au Québec seulement, 14 800 personnes ont participé au programme.
En Ontario, de nombreuses femmes se sont vu demander de s’engager dans le Corps du service agricole. Les « farmerettes » travaillaient dans divers aspects de production alimentaire, de la cueillette à la mise en conserve. Lois Allan était l’une de 100 femmes, dont deux Québécoises, qui préparaient les petits fruits à l’usine de confitures E.D. Smith and Son’s à Winona, en Ontario, au printemps de 1918. Le travail à l’usine était long et pénible. Lors d’une journée normale, Lois et les autres farmerettes travaillaient de 10 à 12 heures. Cependant, comme la plupart de ces femmes, Lois sentait qu’être farmerette était une façon de faire sa part. Une parodie de chanson écrite par Lois sur l’air de Clementine l’illustre bien :
« Au club de balle de Pine Cove campent les joyeuses farmerettes. Elles cueillent des cerises et toutes sortes de petits fruits. Ce sont les petites bêtes des agriculteurs.
Ô les grandes, ô les petites, ô les joyeuses farmerettes – elles sont travaillantes, pas dégonflées. Elles méritent chaque cent gagné.
Soldates de la milice agricole, nous servons notre pays; pas de sympathie pour les dégonflées, pas de patience pour les fainéantes. » [traduction libre].
La nourriture au front
La nourriture était évidemment une préoccupation pour les soldats qui combattaient à l’étranger. On pourrait facilement penser que les soldats n’avaient accès qu’à des conserves et à des biscuits de mer (des galettes fades et sèches qui pouvaient se conserver longtemps); cependant, le genre de nourriture disponible aux soldats dépendant largement de leur proximité à la ligne de front. Certaines unités étaient équipées de cuisines roulantes tirées par des chevaux. D’autres utilisaient des « fours Aldershot » qui étaient construits à l’arrière de la ligne de front. Il y avait environ un cuisinier pour 100 hommes. De nombreux cuisiniers militaires étaient formés à la Canadian School of Cookery, à Londres.
Même s’il s’agissait d’un rôle important pour l’effort de guerre, la cuisine n’était pas encore considérée comme un travail masculin à l’époque. Certains soldats croyaient que ce travail était facile et plus sécuritaire. Pourtant, ce n’était souvent pas le cas. D’après les lettres envoyées par l’artilleur et cuisinier William J. Johnston à son frère, être en cuisine ne signifiait pas que l’on était hors de portée des tirs. Lors d’un incident, William a été atteint de gaz moutarde et a perdu la faculté de parler pendant un mois. Il mentionne par ailleurs : « sur les neuf cuisiniers que nous étions, il ne reste que moi et un autre. » Ses cahiers de notes ont survécu le passage du temps et nous donnent aujourd’hui un aperçu des recettes qui étaient enseignées aux étudiants durant leur formation de trois semaines à la Canadian School of Cookery. On y trouve notamment la recette de mijoté à la canadienne suivante :
« Rincer, faire tremper, rincer de nouveau, puis cuire les haricots pendant 2 heures. Trancher le bacon et ajouter du sirop, du poivre et de la moutarde aux haricots. Recouvrir le plat d’une couche de bacon, suivie d’une couche de haricots et d’une couche d’oignons émincés, puis répéter jusqu’à ce que le plat soit rempli. Couvrir de bouillon et cuire au four à température moyenne pendant 1,5 heure » [traduction libre].
Que ce soit sur le front ou au pays, la Première Guerre mondiale a radicalement transformé l’alimentation des Canadiens et des Canadiennes. Les recettes et les livres de cuisine qui subsistent de la guerre montrent la résilience de la population en ce temps de crise et de pénuries alimentaires. Beaucoup de ces recettes mettent l’accent sur les aliments cultivés localement et sur la durabilité, des thèmes tout aussi importants aujourd’hui qu’il y a 100 ans. Pourquoi alors ne pas essayer l’une d’elles par vous-même?
Pour découvrir d’autres recettes du temps de la guerre, consultez Win-the-war suggestions and recipes ou Recipes for Victory (renseignements ci-dessous).
Article rédigé par Anthony Badame pour Je Me Souviens. Traduction par Émilie Savard (https://emiliesavardtranslations.ca/fr/).
Sources :
- « Agriculture et produits alimentaires » et « Nourriture, combustible et inflation », Musée canadien de l’histoire/Canadian War Museum.
- « Jeanne Anctil », Culinary Historians of Canada (en anglais).
- « Legislation and Principal Events », Statistique Canada/Statistics Canada (en anglais).
- « Lois Allan » Fonds and « Clementine », Bibliothèque Archives Canada/Library and Archives Canada (en anglais).
- « What Canada Has Done », Canada Food Board (en anglais).
- « What WWI can teach us about hoarding toilet paper », Television Ontario (en anglais).
Pour une approche plus académique :
- Baird, Elizabeth and Bridget Wranich (2018). Recipes for Victory, Whitecap Books: Toronto (en anglais).
- Driver, Elizabeth (2008). Culinary Landmarks: A Bibliography of Canadian Cookbooks, 1825-1949, University of Toronto Press: Toronto (en anglais).