Entre 1950 et 1960, le gouvernement canadien, ainsi que les États-Unis et autres forces nationales occidentales, étaient engagés dans une Guerre froide contre l’Union soviétique et ses alliés. Dans ce contexte, le gouvernement canadien a lancé une campagne visant à identifier et à éliminer les personnes qu’il jugeait à « risques pour la sécurité » en raison de « faiblesse de caractère présumée », incluant l’homosexualité.
Après la Deuxième Guerre mondiale
C’est suite à la défection d’Igor Gouzenko des forces soviétiques en 1945, qu’il est révélé que des espions soviétiques ont infiltré le service public canadien, les forces armées ainsi que le fond de recherches national. Cela mène à la création d’une commission royale, d’un conseil de sécurité et à la purification des fonctionnaires en emplois au sein de ces institutions. Différents critères sont alors établis afin de démontrer qui serait susceptible d’être pro-communiste et l’enquête est prise en charge par la Gendarmerie Royale Canadienne (GRC).
Cette campagne, aujourd’hui connue sous le nom de la « Purge LGBT », a ciblé des milliers de personnes, notamment des fonctionnaires, des militaires et des employés de sociétés d’État. Ces personnes ont été interrogées, enquêtées et souvent licenciées de leur emploi ou refusées des habilitations de sécurité.
Certains critères sont mis en place afin de détecter un risque de tendance pro-communiste. Tous ceux qui font preuve de « faiblesse de caractère » sont à risques selon le comité. Cela inclut les personnes qui jouent au jeu de pari, les adultères, les alcooliques, ou encore, ceux qui participent à des modes de vie socialement proscrit tel que l’homosexualité. Il est raisonné que ces personnes soient plus sensibles au chantage et à la corruption en raison de leurs comportements socialement tabous. Elles sont considérées comme susceptibles d’aller contre les normes politiques canadiennes. À l’époque, l’homosexualité, la transsexualité et la bisexualité étaient hors-normes et même illégales. Il était donc considéré plus facile de faire chanter un homosexuel, car la révélation de son style de vie était considérée comme étant sa plus grande peur.
Certains ont subi tant d’interrogation de la part du Conseil de sécurité qu’ils en ont subi des séquelles psychologiques durant de nombreuses années par la suite. C’est le cas de John Wendell Holmes, diplomate canadien. Affecté à Moscou entre 1940 et 1959, il se retrouve alors en interrogation en novembre 1959. Il y avoue son homosexualité et sa carrière diplomatique est soudainement mise en arrêt. Cela le pousse vers la dépression nerveuse.
La Purge LGBT
Entre 1952 et 1955, les fonctionnaires LGBTQ sont exclus de leurs fonctions au sein des Affaires internationales, de la GRC et des Forces armées canadiennes. Entre 1958 et 1959, les enquêtes désignent l’orientation sexuelle comme premier critère d’enquête. Au courant des années 1960, la GRC tente de surveiller les lieux de rassemblements gais, notamment les bars, clubs et parcs. Des policiers s’infiltrent au sein de ces endroits afin de prendre les personnes présentes en photo et de tenir un registre des fonctionnaires qui pourraient fréquenter ces lieux.
Les effets de la purge LGBT ont été dévastateurs pour les personnes concernées. Beaucoup ont perdu leur gagne-pain, ont été ostracisées de leur communauté et ont souffert de problème de santé mentale en raison de la discrimination subie. Certaines ont même été forcées de suivre une thérapie de conversion dans le but de changer leur orientation sexuelle.
Conclusion
Ce n’est qu’à partir des années 1990 que le gouvernement canadien a commencé à reconnaître les préjudices causés par la purge LGBT. En 2017, le Premier ministre Justin Trudeau s’est formellement excusé au nom du gouvernement et a annoncé une indemnisation pour les personnes touchées par la purge.
Aujourd’hui, la purge LBGT sert de rappel des préjudices qui peuvent être causés par des politiques discriminatoires et de l’importance de protéger les droits de toutes personnes, peu importe leur identité sexuelle et de genre.
Photo de couverture : Une manifestation LGBTQ contre les pratiques du gouvernement canadien (source : LGBT Purge Fund).
Article rédigé par Aglaé Pinsonnault pour Je Me Souviens.
En complément :
Le 16 juin 2023, Aglaé Pinsonnault était en onde à l’émission Histoire de passer le temps pour y présenter la purge des personnes LGBTQ+ dans l’Armée canadienne durant la Guerre Froide. Pour écouter sa chronique, c’est par ici ! Avec la participation de Catherine Thibeault et de Julien Legris à la chronique et à l’animation et de Pierre-Luc Noël à la régie.
Sources :
- « Bringing ‘Purge’ to light : Exhibit on persecution of LGBTTQ+ Canadians back on track after reckoning at CMHR », Winnipeg Free Press (en anglais).
- « Purges dans le service public canadien pendant la guerre froide : le cas des personnes LGBTQ », L’Encyclopédie Canadienne/The Canadian Encyclopedia.
Un article rédigé par Valour Canada et republié par JMS sur Michelle Douglas, qui intenta une poursuite contre l’armée après en avoir été expulsée, est aussi disponible ici. Michelle Douglas est aujourd’hui la directrice exécutive de LGBT Purge Fund.
Pour une approche plus académique :
- Gary Kinsman & Patrizia Gentile, The Canadian War on Queers : National Security as Sexual Regulation, Vancouver, UBC Press, 2010, 584 p. (en anglais).
- Hector Mackenzie, « The straight and narrow path: policy direction and oversight of the gay purges in Canada », British Journal of Canadian Studies, vol. 34, no. 2, janvier 2022, pp. 189-216 (en anglais).