Pour plusieurs régiments canadiens durant la Deuxième Guerre mondiale, la libération du Nord-Ouest européen fut l’occasion de prouver de façon définitive leur valeur de guerre. En garnison en Grande-Bretagne de 1940 à 1944, c’était d’autant plus vrai pour le Royal Montreal Regiment. De fait, la bataille du canal Léopold, qui ouvre la voie vers la Belgique, fut leur première grande épreuve. S’ils étaient motivés à contribuer à l’effort de guerre, le RMR subit malheureusement de nombreuses pertes chez leurs jeunes soldats et officiers, leur rappelant les conséquences dramatiques des combats.
La libération de l’Europe du Nord-Ouest a renforcé les liens durables des Canadiens avec les Européens, notamment avec les habitants de la Belgique et des Pays-Bas, deux pays ravagés par la guerre. Le chemin vers la libération a été long et éprouvant; il s’est étalé sur plusieurs mois de combats sans relâche marqués par de lourdes souffrances, tant pour les soldats que pour les civils. Dès la fin de 1944, le Royal Montreal Regiment (RMR) était au cœur des combats. Sa participation à la bataille du canal Léopold, en Belgique, a été sa plus grande contribution à la libération de l’Europe du Nord-Ouest, obtenue sept mois plus tard, en mai 1945.
Pourquoi le canal Léopold ? Construit entre 1847 et 1850, ce canal du nord de la Belgique offrait un emplacement idéal aux troupes allemandes pour y établir une ligne de résistance, compte tenu de sa proximité avec la frontière hollandaise. Derrière le canal se trouvait une vaste étendue de terre appelée la poche de Breskens, elle-même située devant l’estuaire de l’Escaut, une zone d’une grande importance. En 1944, l’Allemagne contrôlait cet estuaire, ce qui empêchait les forces alliées et le ravitaillement d’accéder au port d’Anvers. Or, comme il s’agissait du plus grand port intérieur du nord-ouest de l’Europe, celui-ci était indispensable à l’acheminement de nourriture et de provisions aux civils belges et hollandais. C’est à ce moment que les Canadiens sont entrés en jeu.
Le plan de bataille
L’objectif était que les Canadiens traversent le canal Léopold, d’une profondeur d’un à deux mètres, puis qu’ils remontent en direction de l’Escaut et parviennent à chasser les troupes allemandes de la poche de Breskens. Cela leur permettrait de reprendre le contrôle de l’estuaire et d’accéder au port d’Anvers, un point d’entrée crucial à la survie de la population.
Du côté de l’Axe, Hitler et les officiers allemands avaient compris que la perte du port d’Anvers, en septembre 1944, conduirait à un affrontement décisif pour le contrôle des voies navigables de l’Escaut. Si les Allemands perdaient le contrôle de la poche de Breskens et, par conséquent, de l’Escaut, ils perdraient rapidement le nord-ouest de l’Europe, et par la même occasion, la guerre. C’est pourquoi les troupes allemandes ont reçu l’ordre de se battre jusqu’à la mort, ce qui a rendu la bataille du canal Léopold d’autant plus difficile pour les Canadiens.
La zone de la bataille du canal Léopold était particulièrement difficile à traverser. Les Allemands avaient inondé les terres avec de l’eau de mer, obligeant les Canadiens à emprunter des routes non inondées, à tenter des attaques amphibies à l’aide de véhicules, ou à avancer dans une eau jusqu’à la taille, vêtus de leurs uniformes de laine. En raison des basses terres du nord de la Belgique et de la Hollande, l’inondation du terrain était une tactique fréquente, ce qui représentait un défi supplémentaire pour les Canadiens.


Pour bien comprendre le rôle joué par le RMR, il faut remonter à septembre 1944. Jusqu’à ce moment-là, le régiment avait passé la majeure partie de la guerre à s’entraîner au Royaume-Uni, et il avait donc peu participé aux combats. Les Canadiens avaient reçu pour mission de prendre d’assaut le canal Léopold le 13 septembre 1944, mais l’opération ne fut pas couronnée de succès pour les Alliés.
Traverser le canal
Vers la fin septembre et le début octobre 1944, une deuxième attaque canadienne contre le canal Léopold fut planifiée par la 3e Division d’infanterie canadienne. L’opération prévoyait la participation du Regina Rifles Regiment, du Royal Winnipeg Regiment, du Canadian Scottish Regiment et des Lorne Scots de la 7e Brigade d’infanterie canadienne. Toutefois, le Regina Rifles Regiment venait tout juste de participer à une bataille et avait besoin de repos. C’est à ce moment-là que le RMR a été appelé à intervenir.
Après quatre années d’entraînement au Royaume-Uni, le régiment était impatient de se battre. À la fin du mois de septembre 1944, il a été décidé qu’une compagnie de 80 soldats du Royal Montreal Regiment viendrait remplacer une compagnie du Regina Rifles dans le cadre de la bataille du canal Léopold, afin de permettre à cette dernière de se reposer. Cet affrontement marqua la première phase de la bataille de l’Escaut.

La compagnie du RMR était dirigée par le tout nouveau capitaine Robert J. Schwob. La structure militaire était alors la suivante :
3e Division d’infanterie canadienne
7e Brigade d’infanterie canadienne
Royal Winnipeg Rifles
Regina Rifle Regiment
Canadian Scottish Regiment
Lorne Scots
Company A (RR)
Company B (RMR)
Company C (RR)
Company D (RR)
Peloton no 1
Peloton no 2
Peloton no 3
Sergent H. T. Murray
Lieutenant W. N. Barclay
Sergent W. Craddock
Le jeune lieutenant William Noel Barclay s’est vu confier une mission de confiance durant cette bataille : diriger le peloton no 2 à travers le canal jusqu’aux lignes ennemies.
La veille du 6 octobre 1944, les soldats de la compagnie, environ 80 hommes, se sont rendus à pied jusqu’au point de ralliement près du canal. Le plan d’attaque pour le Royal Montreal Regiment était d’utiliser des lance-flammes WASP, de petits véhicules blindés d’environ 1,5 m de haut, munis d’un lance-flammes intégré. Ces armes d’envergure, qui pouvaient atteindre une portée de tir de 110 à 130 mètres, étaient réputées pour terrifier les troupes allemandes. Le 6 octobre, à 5 h 25, les lance-flammes ont été déclenchés pendant cinq minutes à travers les eaux sombres du canal, ce qui permit aux pelotons no 1 et no 3 de traverser le canal à bord de leurs bateaux d’assaut, alors cachés par la fumée.

William a démontré son grand savoir-faire en trouvant un passage permettant à toute la compagnie d’atteindre le canal Léopold. À 5 h, il avait conduit les soldats avec assurance jusqu’à la rive nord du canal et s’apprêtait à le traverser à bord d’une embarcation d’assaut, pour conduire le peloton no 2 jusqu’à la rive sud. Malheureusement, l’imprévisibilité et la brutalité de la guerre ont vite frappé le RMR : deux des trois bateaux d’assaut ont été attaqués pendant qu’ils traversaient le canal, en raison de l’absence de reconnaissance avant l’affrontement. Installé à l’avant de son embarcation, le lieutenant Barclay est parvenu à mener ses hommes jusqu’à la rive sud. Mais au moment où ils atteignaient le rivage, le bateau a été transpercé par des tirs de mitrailleuses allemandes, tuant le lieutenant Barclay sur-le-champ.
À 6 h, les trois pelotons avaient traversé le canal, mais le lieutenant Barclay et son camarade, le sergent Murray, avaient perdu la vie, marquant la perte de deux des trois chefs de peloton. Entre le 6 et le 9 octobre, la compagnie du RMR a subi 46 pertes, soit 10 morts, 20 blessés, et 16 hommes détenus comme prisonniers de guerre. Les effets de la bataille se sont prolongés jusqu’en avril 1945, lorsque les soldats du RMR détenus au camp de prisonniers allemand Stalag XI-B ont été libérés.
L’ultime sacrifice du lieutenant Barclay
Les hommes qui se sont battus au sein du RMR pour la libération de l’Europe n’étaient pas seulement des soldats. Ils étaient avant tout des êtres humains, des fils, des frères, des pères et des amis. Ils avaient une vie normale et un travail comme les autres, mais accomplissaient des choses extraordinaires sur le terrain. Bien que les hommes qui ont combattu se soient portés volontaires pour servir le Canada, ils en savaient souvent peu sur la guerre et sur le sort qui pouvait les attendre. Les jeunes hommes s’enrôlaient dans l’armée au cours de la guerre pour différentes raisons : par patriotisme, par goût de l’aventure, pour visiter l’Europe, pour suivre les traces de leur père ou encore par intérêt pour les machines et les armes, pour n’en nommer que quelques-unes.
Dans le civil, les soldats du RMR affectés au canal Léopold étaient machinistes, étudiants, assureurs, agriculteurs, boulangers, manœuvres ou commis, entre autres. Le lieutenant Barclay, chef de peloton, était l’exemple parfait de ces jeunes qui ont mis leur vie sur pause pour aller servir leur pays.

Le lieutenant William Noel Barclay a perdu la vie lors de la bataille du canal Léopold, à l’âge de 25 ans seulement, mettant un terme brutal à une vie jeune, mais remplie d’exploits. Surnommé « Jock », il a fait ses études à la prestigieuse école Selwyn House pour garçons, puis à l’école secondaire Loyola, à Montréal. À l’époque où il s’est enrôlé dans l’armée, le lieutenant Barclay était étudiant de troisième année en commerce à l’Université McGill. D’après son formulaire d’enrôlement, il aspirait à devenir comptable agréé. Même si les études semblaient être sa priorité, William a manifesté un vif intérêt pour l’armée tout au long de son parcours scolaire. Il a notamment fait partie du Corps-école d’officiers canadiens (COTC) de Loyola pendant trois ans, puis de celui de l’Université McGill pendant un an. Il s’est ensuite officiellement enrôlé dans le RMR le 7 octobre 1941, à titre de sous-lieutenant.
Comme bien des jeunes hommes qui ont combattu pendant la Deuxième Guerre mondiale, William vivait toujours à la maison familiale, à Westmount. Sa mère est décédée quand il avait 15 ans et, étant fils unique, il s’est retrouvé seul avec son père, M. Noel McEachran Barclay. Tous deux ont habité au 3496, Côte-des-Neiges, puis au 506, avenue Grosvenor. Aujourd’hui, quand on se penche sur le quotidien ordinaire et parfois même banal des soldats avant la guerre, on réalise à quel point les hommes qui ont combattu pour la libération de l’Europe étaient jeunes. Bien qu’ils aient fait preuve d’une bravoure inimaginable, la guerre les a forcés à grandir bien plus vite que prévu.
La guerre a bouleversé la vie de tous, y compris celle de William Barclay. Il est passé d’un quotidien où il vivait avec son père, partagé entre des cours universitaires, des entraînements au COTC, du sport et des sorties entre amis, au combat le plus intense de sa vie. Barclay a rapidement perdu la vie alors qu’il tentait de traverser le canal. Il est resté un soldat courageux jusqu’à ses derniers instants, protégeant ses hommes des tirs ennemis en faisant office de bouclier humain. Son peloton a réussi à sortir du bateau et à se réfugier dans les tranchées, où se trouvaient déjà les deux autres pelotons. Le lieutenant Barclay a été l’un des premiers soldats du RMR à tomber au combat lors de la bataille du canal Léopold. Malheureusement, neuf de ses camarades ont subi le même sort dans les jours suivants. Tous reposent aujourd’hui dans le même cimetière en Belgique, le cimetière militaire canadien d’Adegem.


Des conséquences qui perdurent
Même si le RMR et la 3e Division d’infanterie canadienne sont parvenus à vaincre les troupes allemandes et à reprendre la poche de Breskens, ce fut au prix de lourds sacrifices : dix soldats du RMR, courageux et déterminés, y ont perdu la vie. Certains soldats s’étant particulièrement démarqués ont reçu des médailles pour leur service. Le capitaine Robert J. Schwob, s’est vu décerner la Croix militaire pour avoir tenu une tête de pont pendant trois jours, entre autres actions héroïques. Le sergent Lorne G. Thomson a reçu la Médaille de conduite distinguée pour avoir dirigé ses hommes avec altruisme, même sous le feu ennemi. Le soldat Stanley M. Enair, quant à lui, a reçu la Médaille militaire pour avoir ramé héroïquement à travers le canal sous une pluie de tirs afin de mettre à l’abri ses camarades blessés, sauvant ainsi la vie à plusieurs d’entre eux.
Bien qu’elle se soit soldée par une victoire et trois médailles de service, cette bataille n’en demeure pas moins une tragédie. En plus des dix soldats tombés au combat, les souvenirs de l’affrontement sont restés à jamais gravés dans la mémoire des survivants. Plusieurs n’ont jamais reparlé des événements d’octobre 1944, et certains, du temps passé dans un camp de prisonniers de guerre allemand. Les horreurs vécues par ces soldats, souvent encore très jeunes, auraient été difficiles à revivre, à raconter, voire à se remémorer. À l’époque de la Deuxième Guerre mondiale, et même dans les années qui suivirent, il n’existait pas de services en santé mentale pour le personnel militaire. Plusieurs ont repris leur quotidien, leur travail et leur vie de famille dès leur retour au pays. En l’absence d’un espace dédié pour en parler, nombre d’entre eux ont refoulé leur vécu et leur ressenti, incapables de partage leurs expériences avec leurs proches.

Quatre-vingts ans plus tard, tous les vétérans du RMR ayant combattu pendant la Deuxième Guerre mondiale nous ont quittés. Mais leurs lettres, leurs photos, leurs objets personnels et les souvenirs tangibles de leur passage durant la guerre subsistent, pour que l’on se souvienne d’eux en tant que soldats, mais aussi en tant qu’êtres humains.
Article rédigé par Amynte Eygun, conservatrice adjointe pour le musée du Royal Montreal Regiment, pour Je me souviens. En novembre 2024, le musée du Royal Montreal Regiment a présenté sa dernière exposition itinérante : Le sacrifice d’un régiment : Vaincre l’armée d’Hitler, sur la participation du RMR à la bataille du canal Léopold. Pour réserver cette exposition pour votre établissement, contactez le musée à l’adresse suivante .
Sources :
- C. P. Stacey, Official History of the Canadian Army in the Second World War, Vol III The Victory Campaign: The Operations in Northwest Europe, 1944-45, Ottawa, Queen’s Printer, 1960, 770 p. (en anglais).
- Terry Copp, « Canadian Participation In The World War II Battle To Win The Breskens Pocket« , terrycopp.com (précédemment publié à Legion Magazine le 1er mars 2001) (en anglais).
Dans le cadre de la promotion de l’exposition itinérante Le sacrifice d’un régiment, la conservatrice adjointe Amynte Eygun a également rédigé plusieurs articles sur la bataille du canal Léopold et sur la participation du RMR tout au long de la guerre :
- « À travers le feu : Le courage de Stanley Enair lors de la bataille du canal Léopold », Fondation du Royal Montreal Regiment.
- « L’arsenal de feu du Canada: les lance-flammes WASP et leur rôle pendant la bataille du canal Leopold », Fondation du Royal Montreal Regiment.
- « Bravoure sous le feu : la dernière mission d’un jeune de 22 ans », Fondation du Royal Montreal Regiment.
- « C’était quoi la bataille du Leopold Canal? », Fondation du Royal Montreal Regiment.
- « Comment le Canada a aidé à libérer la Belgique – et ce que cela signifie aujourd’hui », Fondation du Royal Montreal Regiment.
- « De la farine au feu: le soldat Thornicroft, un boulanger devenu soldat, récit d’une mort tragique », Fondation du Royal Montreal Regiment.
- « En mémoire de son courage: le legs du Lieutenant William Noel Barclay continue à vivre », Fondation du Royal Montreal Regiment.
- « Endurer l’Impensable : les effets durables d’une détention comme prisonnier de guerre pendant la seconde guerre mondiale », Fondation du Royal Montreal Regiment.
- « Le Capitaine Robert Schwob : Héro de la bataille du canal Léopold », Fondation du Royal Montreal Regiment.
- « Survivre les Stalags : la vie comme prisonnier de guerre en Allemagne », Fondation du Royal Montreal Regiment.