Pour plusieurs raisons, l’histoire des personnes noires au Canada fut longtemps invisibilisée et ignorée. Que ce soit en tant que personnes libres ou malheureusement en tant qu’esclave, de nombreuses personnes noires contribuèrent à la vie en Amérique du Nord dès les débuts de l’époque coloniale. Si au Québec, nous prenons de plus en plus conscience des figures tragiques des esclaves Marie-Josèphe Angélique ou d’Olivier le Jeune, plusieurs autres personnes ont été longtemps ignorées par la population générale. Le soldat Richard Pierpoint, vétéran de plusieurs guerres coloniales, figure parmi ces personnes.
D’esclave à militaire jusqu’à devenir leader local de la communauté noire du Haut-Canada, Richard Pierpoint (de son nom attribué) mena une vie chargée, mais malheureusement largement oubliée. En effet, si les grandes lignes sont connues, de larges pans de son histoire ont été perdus dans les annales du temps. Malgré tout, ce court article tentera de présenter le parcours mouvementé de cet homme.
Son arrivé aux États-Unis
Très peu de choses sont connues sur la vie de Richard Pierpoint avant son arrivée en Amérique du Nord. Possiblement né en 1744 dans l’État du Boundou (faisant aujourd’hui partie du Sénégal), Richard Pierpoint aurait été capturé et fait esclave à l’âge de 16 ans. À cet effet, les historiens David et Peter Meyler spéculent qu’il est possible que Pierpoint fût capturé en tant que soldat dans le cadre de conflits militaires. Il est possible aussi qu’il fût kidnappé par des marchands d’esclaves lors d’un voyage en dehors de Boundou.
Dans tous les cas, Richard Pierpoint serait arrivé aux États-Unis en tant qu’esclave en 1760. Là-bas, il aurait été vendu à un officier britannique qui lui donna son nom de famille – comme il était coutume lorsqu’un propriétaire blanc achetait un esclave. Et à partir de ce point, il est difficile, encore une fois, d’établir le reste de sa vie. Il est possible que Pierpoint ait été l’assistant personnel de cet officier (ou d’autres propriétaires) et qu’il ait parcouru d’autres champs de bataille. Après tout, pour plusieurs officiers britanniques, détenir un esclave et l’amener avec lui sur le front était un signe de prestige et témoignait de la richesse de son propriétaire. Néanmoins, Pierpoint aurait retrouvé sa liberté quelque part au courant de la Révolution américaine.
Il est impossible de déterminer comment il aurait précisément retrouvé sa liberté. À partir de 1775, plusieurs gouverneurs britanniques offraient la liberté aux esclaves décidant de s’enrôler dans l’armée britannique. Il se pourrait que Pierpoint ait décidé de faire cela. À cet effet, peut-être que son propriétaire s’enrôla parmi les forces loyalistes et décida de combattre les Américains, en entraînant Pierpoint dans le service militaire. Il est possible aussi que Pierpoint s’enfuît de son propriétaire et vît l’armée comme une façon de s’affranchir. Dans tous les cas, on retrouva Pierpoint en 1780 parmi les Butler’s Rangers.
Les Butler’s Rangers étaient une force loyaliste qui œuvraient entre la présente frontière canadienne et américaine et qui menaient divers raids contre les forces américaines. De fait, les Butler’s Rangers reçurent la réputation d’être très brutaux dans le cadre de certains raids et se démarquèrent dans différentes batailles. Une unité mixte, plusieurs personnes noires libres y étaient en service. À partir de 1780, Pierpoint et le reste de son unité étaient stationnés dans la région de Niagara jusqu’en 1784, à la fin de la guerre d’indépendance des États-Unis. Pierpoint fut alors démobilisé et s’installa dans la région.
Son établissement au Canada
Du fait de son service militaire, Pierpoint reçut 200 âcres de terres – une quantité similaire à n’importe quels autres soldats. Il est difficile, cependant, de tenir des terres et plusieurs soldats firent le choix de les vendre. En revanche, sans port d’attache ou n’ayant nulle part où aller, Pierpoint semble avoir fait le choix de garder ses terres pendant un certain temps. Selon la loi en vigueur à l’époque, Pierpoint devait entretenir ses terres, en cultiver une partie et construire une cabane en bois d’une certaine taille. Pour un homme n’ayant connu que la guerre et l’esclavage pour la majorité de sa vie, et qui portait possiblement des séquelles physiques et psychologiques de tout cela, ces contraintes n’étaient pas de tout repos. Possiblement en réponse à cela, Pierpoint présente en 1794, avec 18 autres signataires, une pétition aux autorités britanniques qui demande à ce que les personnes noires (dont une partie était des camarades de guerre de Pierpoint) puissent rassembler leurs terres ensemble et former une communauté en dehors de celle des Blancs – un indice fort qui témoigne des différentes discriminations qu’ils devaient vivres au quotidien. Si la demande a été rejetée, elle signifie du moins que Pierpoint se présentait comme un leader pour les personnes noires établies au Canada.
Finalement, au tournant du 19e siècle, Pierpoint vendit ses terres. Il resta tout de même dans la région. Nous ignorons ce qu’il fit durant ces années, mais il est possible qu’il résidât chez des amis et qu’il y travaillât pour eux jusqu’au déclenchement de la guerre de 1812. Dans la continuité de sa pétition de 1794, Pierpoint lança une autre pétition à l’armée britannique qui demanda à ce qu’une unité constituée entièrement de soldats noirs puissent être créés. Sa pétition fut, une nouvelle fois, refusée. Cependant, devant le besoin pressant en homme, l’armée britannique obtempéra finalement et fonda la Corps of Coloured Men menée par le capitaine Robert Runchey. Ainsi, à l’âge de 68 ans, Pierpoint rejoint encore une fois l’armée pour combattre les Américains.
En 1820, en récompense à ses services militaires, Pierpoint reçut encore des terres à cultiver. En revanche, maintenant rendu à un âge avancé, le vétéran ne désirait plus particulièrement prendre soin de terres. En 1821, il plaida au gouvernement du Haut-Canada de se faire donner des fonds pour pouvoir retourner en Afrique, au lieu des 100 âcres octroyés. Cette demande fut aussi refusée. Acceptant son nouveau lot de terre, Pierpoint s’établit finalement à Garafraxa avec un ancien camarade de guerre – un certain Deaf Moses. Accompagné de son ami, Pierpoint aurait possiblement passé le reste de sa vie au sein de ses terres tout en continuant à voyager à Niagara chez ses anciens camarades de guerre. S’il ne put retourner à Boundou, Pierpoint aurait tout de même adopté le rôle ouest-africain de « griot » : un conteur-historien qui voyage de place en place pour récolter les histoires locales et familiales et les partager.
Un mystère que nous ne pourrons peut-être jamais résoudre
De larges pans de la vie de Pierpoint sont encore méconnus et il est possible qu’on ne puisse jamais les élucider. Il est indéniable qu’il joua un rôle important au sein des communautés noires établies au Canada. Cependant, il est certainement dommage que les méandres du temps aient ignoré ses contributions majeures. Que ce soit sur le champ de bataille ou en faveur d’une plus grande égalité raciale, Pierpoint livra de nombreux combats et seuls quelques-uns d’entre eux semblent nous être parvenus aujourd’hui.
Photo de couverture : Une illustration de Richard Pierpoint par l’artiste Malcolm Jones (source : Musée canadien de la guerre/Canadian War Museum).
Article rédigé par Julien Lehoux pour Je Me Souviens.
Sources :
- « Personnage historique national de Richard Pierpoint (vers 1744 – vers 1838) », Gouvernement du Canada/Government of Canada.
- « Richard Pierpoint », L’Encyclopédie canadienne/The Canadian Encyclopedia.
- « Richard Pierpoint, pionnier de l’histoire militaire et raciale du Canada », Radio-Canada.
Un livre complet a été écrit sur la vie de Richard Pierpoint selon le peu d’informations trouvées sur lui. Nous vous en recommandons la lecture si vous êtes intéressés à en savoir plus :
- David Meyler et Peter Meyler, A Stolen Life: Searching for Richard Pierpoint, Toronto, Natural Heritage Books, 1999, 141 p. (en anglais).
Pour une approche plus académique :
- Amadou Ba, L’histoire oubliée de la contribution des esclaves et soldats noirs à l’édification du Canada (1604-1945), Éditions Afrikana, Montréal, 2019, 300 p.
- Gareth Newfield, « Upper Canada’s Black Defenders? Re-evaluating the War of 1812 Coloured Corps », Canadian Military History, vol. 18, no. 3, 2009, pp 31-40 (en anglais).