Cet article fut publié dans le cadre de notre exposition sur la campagne d’Italie : À travers les lignes et les vignes.
Consulter notre exposition pour en apprendre davantage sur l’histoire des soldats et des infirmières canadiennes envoyées en Italie !
Thomas George Prince est né le 15 octobre 1915 dans la nation des Ojibway Brokenhead, établi dans la province du Manitoba. La famille de Prince est l’une des plus importantes de la région. Son arrière-grand-père, Peguis (ensuite changé pour William King après s’être baptisé), mena les membres de sa nation jusque dans le sud du Manitoba et signa différents traités avec le gouvernement canadien. Son fils, et le père de Tommy, Mis-koo-kenew (Henry Prince, de son nom de baptême) devint par après le chef de la nation avant que son propre fils, William Henry Prince, prit la relève. Au courant des années, la famille Prince se distingua par sa forte tradition militaire. Peguis reçut notamment le surnom de « Cut Nose » du fait d’une blessure de bataille. Des oncles et des cousins de Tommy s’engagèrent aussi dans l’armée canadien où ils participèrent contre la rébellion de Louis Riel à la Rivière Rouge (1870), dans l’expédition du Nile en Égypte et au Soudan (1885) et dans la Première Guerre mondiale en Europe (1914-1918).
Après sa graduation à l’école résidentielle d’Elkhorn, Prince travaille comme ouvrier pour de petits travaux. La crise économique touchait alors gravement sa communauté et Prince dû mettre ses études sur pause le temps d’aider sa famille : « Je ne voulais pas quitter l’école, mais mon père n’avait pas d’argent », comme il raconta par après.
Avec le déclenchement de la guerre en Europe en 1939, Prince tente sans succès de s’enrôler dans l’armée canadienne. Cependant, ce n’est finalement qu’en 1940, alors que les politiques de discrimination raciale s’assouplissent devant les besoins pressants en recrues, que Prince est accepté dans l’armée. Il est d’abord envoyé en Grande-Bretagne où il occupe un poste de bureau. Complètement ennuyé par ses tâches, il s’enrôle par la suite dans une toute nouvelle unité : le 1er détachement du service spécial.
En Italie
Comme le reste de son unité, le sergent Tommy Prince débarque à Naples le 19 novembre 1943. Sa première mission est de libérer une série de montagnes à l’est de la péninsule le long de la ligne Bernhardt. C’est d’ailleurs durant ses opérations qu’il développe ses techniques de reconnaissances et de marches silencieuses pour s’approcher des positions ennemies. Durant tout le mois de décembre et jusqu’en début janvier, la brigade sécurise alors les monts La Difensa (la colline 960), La Remetanea (907), Camino, Sammucro (1205), la colline 720 et le Monte Majo, entre autres.
Monte Majo était alors fortement fortifié par les Allemands, mais les capacités de reconnaissance de Prince avaient déjà fait leurs preuves lors des combats précédents. Le 8 janvier, Prince est chargé par son officier de mener une patrouille nocturne dans la montagne pour déstabiliser les forces ennemies. Le soldat d’élite va au-delà des attentes. Muni d’une paire de mocassins pour réduire le bruit de ses pas, Prince se déplace dans l’ombre et réussit à s’approcher sans problème des postes et des fortifications ennemies. Dans le noir complet, Prince réussit à neutraliser plusieurs des soldats allemands sans se faire détecter, permettant d’ouvrir un passage sécurisé pour le reste de son unité. Monte Majo est par la suite capturée, et ce, grâce majoritairement à l’opération menée par Prince.
Après Monte Majo, Prince continue à combattre le long de la côte ouest italienne où il se rend à Anzio. Ses actions là-bas sont peut-être parmi les plus impressionnantes et audacieuses de toute l’armée canadienne durant la campagne d’Italie. Le 5 février 1944, Prince est chargé d’une mission de reconnaissance visant à repérer les positions allemandes en préparation d’un nouveau débarquement des Alliés. Durant sa mission, le soldat tombe sur une maison de campagne avoisinant différentes batteries d’artillerie ennemies. En se réfugiant pour y prendre des notes, des soldats allemands y entrent par surprise et forcent Prince à se cacher dans le grenier. Durant plus d’une journée, les Allemands occupent donc la maison, sans s’apercevoir de la présence du soldat canadien caché à quelques mètres d’eux.
À son retour de mission, alors que son commandant le croyait mort, Prince rapporte les positions ennemies avant d’être renvoyé dans la maison avec des câbles de téléphone pour pouvoir communiquer avec son unité. Durant les trois jours suivants, au milieu d’échanges d’artilleries, Prince transmet ainsi les positions ennemies à seulement quelques mètres des artilleurs allemands. Le tout, en se passant pour un paysan italien, se promenant régulièrement sur le terrain, mimant de travailler dans les champs ! Son courage durant cette mission porte fruit lorsque les artilleries alliées détruisent ultimement les fusils allemands.
Par la suite, Prince continue à combattre à Anzio. Là-bas, il se bâtit une réputation féroce chez les troupes ennemies. Par exemple, durant ses missions de reconnaissance, Prince prend l’habitude de laisser des messages à l’insu des troupes ennemies pour indiquer sa présence. De même, il est aussi courant qu’il parte durant la nuit avec un fusil sniper pour harceler les positions adverses. La « petite guerre » de Prince lui vaut par la suite plusieurs surnoms par les soldats allemands : « geist » (« fantôme ») et « teufel » (« démon »), particulièrement.
Le 1er détachement du service spécial
Surnommé la « brigade du Diable », la First Special Service Force est créée en juillet 1942 par l’armée américaine en vue de possibles combats dans des milieux arctiques. De fait, il est d’abord convenu que l’unité comprendrait des soldats américains, canadiens et norvégiens du fait de leur acclimatation habituelle vis-à-vis le froid. Près de 700 officiers et soldats canadiens sont ainsi recrutés. D’abord envoyée sur l’ile de Kiska dans le cadre de la campagne des iles aléoutiennes, la troupe se rend ensuite en Italie, le 19 novembre 1943, pour leur première grande opération. En Italie, les soldats se spécialisent particulièrement dans les opérations en pleines montagnes, alors qu’ils sont chargés de déloger les défenseurs allemands et italiens dans des affrontements longs et pénibles. À 77% de pertes en 1943 seulement, l’unité voit des dégâts importants. Malgré tout, ses exploits restent indéniables et la brigade devient une force importante dans la libération de la péninsule. Finalement, le 14 août 1944, l’unité est transférée en France avant d’être dissoute en décembre de la même année.
Après la campagne d’Italie
À mesure que les Allemands et les Italiens cèdent du terrain aux Alliés en Italie, il est décidé que la Brigade du diable serait plus utile en France, où les combats y font encore rage. Le 1er septembre 1944, le sergent Tommy Prince mène l’une de ses actions les plus audacieuses jusqu’à maintenant. Un an après le débarquement sur Kiska, Prince et le 1er détachement du service spécial sont désormais de l’autre côté du globe après avoir atterri dans le sud de la France dans le cadre de l’opération Dragoon.
Ce jour-là, Prince et son partenaire de reconnaissance marchent 24 kilomètres derrière les lignes ennemies dans le but d’établir l’emplacement des avant-postes, des installations d’artillerie et des camps allemands. En revenant par le terrain montagneux, ils tombent sur un groupe de partisans de la France libre encerclé par un peloton allemand.
Les chances ne sont visiblement pas du côté des partisans, qui sont probablement trois ou quatre fois moins nombreux. On peut difficilement voir comment seulement deux hommes pourraient faire pencher la balance.
Et pourtant, cela n’arrête pas Prince et son compatriote. Se plaçant en position de tir, les deux hommes commencent à s’en prendre aux Allemands. Prince en tue six et en blesse encore davantage. Choqué de constater le nombre soudain et élevé de victimes autour de lui, le commandant allemand appelle ses troupes à battre en retraite, laissant derrière les partisans de la France libre.
Prince salue le chef des partisans, puis celui-ci lui demande où se trouve le reste de ses troupes. « Ici », répond Prince, pointant en direction de son partenaire. L’officier français est sous le choc : « Mon Dieu! Je pensais que vous étiez au moins cinquante! »
Deux jours plus tard, Prince et le groupe retournent aux lignes américano-canadiennes et parviennent à fournir les renseignements recueillis à leur commandement. Pour avoir marché quelque 80 kilomètres au cours des cinq jours précédents, on lui attribue le mérite de la progression réussie de la Brigade des diables du 5 septembre. Pour cet acte, Prince reçoit la médaille américaine Silver Star. Avec la réception de la Médaille militaire, cette distinction le place au premier rang, occupé par seulement deux autres Canadiens.
Les prestations d’ancien combattant de Prince après la guerre sont loin d’être au même niveau que celles des non-Autochtones, mettant en évidence la disparité entre les peuples autochtones et les populations non autochtones au Canada. Tout comme le caporal Pegahmagabow dans la génération précédente, il rencontre d’importantes difficultés en essayant de définir son rôle dans la vie civile. Même s’il dirige une entreprise de nettoyage prospère pendant une brève période, il réalise qu’il n’est pas bien placé pour militer en faveur d’un plus grand respect des Autochtones du Canada dans le pays.
Cependant, avant qu’il puisse faire grand-chose à cet égard, la guerre de Corée éclate et Prince répond de nouveau à l’appel aux armes en se joignant sur-le-champ au 2e bataillon du Princess Patricia’s Canadian Light Infantry (PPCLI) nouvellement formé. Même s’il se montre performant et qu’il dirige avec brio, y compris lors la bataille de Kap’yong, une arthrite sévère du genou l’oblige à être rapatrié pour effectuer des tâches d’instruction. Très mécontent de son rôle, il se plaint souvent et avec force qu’il veut retourner au front au plus vite. Son souhait est exaucé et il rejoint le 3e bataillon du PPCLI en octobre 1952. Or, l’épuisement accumulé depuis la Deuxième Guerre mondiale le met à nouveau hors d’état de combattre, et on le renvoie au Canada.
Ses dernières années
Durant tout son service militaire, Prince était très prompt à souligner ses origines autochtones : « Toute ma vie, j’ai voulu faire quelque chose pour aider mon peuple à retrouver sa réputation. Je voulais montrer qu’ils étaient aussi bons que n’importe quel Blanc ». Comme plusieurs autochtones au Canada, Prince fut victime de racisme toute sa vie : de ses études au pensionnat, à ses premières tentatives d’enrôlement jusqu’à sa carrière professionnelle après la guerre. En effet, en dépit son service pour le Canada, il subit une discrimination constante de la part des non-Autochtones sur son lieu de travail. L’uniforme, cependant, lui offrait une source de fierté et de validation incommensurable.
Même s’il ne reçoit jamais de diagnostic officiel, Prince manifeste clairement des signes de trouble de stress post-traumatique. Or, dans les années 1950, rien n’est fait pour s’attaquer au problème. Comme beaucoup de vétérans, Prince fut victime d’un système et d’une société qui comprenait mal les maladies mentales. De fait, très peu de ressources lui sont octroyées du fait de son statut d’autochtones et pour une raison ou une autre, Prince n’eut pas la chance de jouir d’un support solide de la part de son régiment d’attache. Vivant dans la pauvreté, le vétéran se réfugie longtemps dans l’auto-médicamentation pour soulager ses nombreuses blessures physiques et psychologiques. Finalement, après des années, il décède en 1977 à l’hôpital pour vétérans Deer Lodge.
Aujourd’hui, Tommy Prince est surtout célébré pour ses faits d’armes impressionnants en Europe et en Corée. À cet effet, ses anciens camarades furent prompts à souligner ses efforts constants au front. Prince était un homme fait pour la vie militaire, mais cette vie à un contrecoup fort pour ce type de personne. Comme le décrivit très bien l’historien P. Whitney Lackenbauer dans sa propre biographie de Tommy Prince : derrière chaque héros réside une personne faillible. Prince ne dévia pas de la règle. S’il est important de souligner ses services, il est tout aussi important de souligner sa vie difficile après la guerre. L’histoire au front de Prince est impressionnante, mais son histoire après la guerre est malheureusement emblématique de celle de plusieurs vétérans, autochtones comme non-autochtones.
Que son service et ses sacrifices ne soient jamais oubliés.
Photo de couverture : Le sergent Tommy Prince et sa compagnie recevant des directives de leur commandant, le 21 mars 1951 (photo : OttawaCitizen.com).
Réimprimé ici avec l’autorisation de Valour Canada dans le cadre d’une collaboration entre JMS et Valour Canada. Pour voir d’autres articles comme celui-ci, consultez leur bibliothèque d’histoire militaire (en anglais seulement). Mise-à-jour du 23 octobre 2023 : texte modifié et enrichi par Julien Lehoux pour Je me souviens.
Pour en savoir plus :
- Pour en apprendre plus sur la vie de Tommy et sur son service durant la Deuxième Guerre mondiale, visitez le site Canadiana (en anglais) et le site d’Anciens combattants Canada.
- Vous pourriez vouloir lire « Tommy Prince, the decorated and forgotten war hero », Ottawa Citizen, édition du 30 septembre 2017 (en anglais).
- Pour une approche universitaire, consultez le PDF « Tommy Prince: Warrior » (en anglais) (Canadian Military History, V16:2).
- Finalement, on vous invite à consulter la bibliographie approfondie rédigée par l’historien P. Whitney Lackenbauer : « “A Hell of a Warrior”: Remembering Sergeant Thomas George Prince » (en anglais).